Acte 2

L'Opposition2020-2021

Philippe Magnan ne se contente pas de jouer Mitterrand. Il est Mitterrand. Dans toute sa ruse et son machiavélisme. Cyrille Eldin est lui aussi très convaincant dans le rôle de Rocard.
Le Figaro 

Il y a du jeu du chat avec la souris dans « l’Opposition ».
Chaque fois que « Hamster érudit » (surnom de Rocard chez les scouts) croit pouvoir quitter le ring en vainqueur, la patte griffue de Raminagrobis l’y ramène.

L'Obs

Le résultat est brillant.
Télérama

Passionnante comédie de la vie et du pouvoir.

FIP

Pièce savoureuse et passionnante.

Duel à fleurets mouchetés, choc d’idées, corps à corps d’ambitions, poker menteur.

L’Express

Savoureux, rythmé et inventif !

Un duel politique magnifique comme on les aime. Et comme il n'en existe plus…

Le Point

Duel féroce à fleurets certainement pas mouchetés...

Courant 1980, Mitterrand et Rocard se sont rencontrés rue de Bièvre pour « s’entendre » sur celui des deux qui représenterait le parti socialiste en 81 pour la présidentielle...

note du metteur en scène

C’est de la fiction mais l’entretien entre les deux a bien eu lieu et cela a permis à l’auteur d’en imaginer sa teneur en allant piocher chez l’un et l’autre tous les écrits, interviews, déclarations qui ont nourri les dialogues de la pièce. Tous les mots prononcés l’ont été mais en d’autres lieux et en d’autres circonstances… Et c’est au talent de l’auteur que nous devons cette reconstitution à la langue riche, incisive et percutante. Ce qui est beau au théâtre, c’est l’affrontement. C’est la possibilité pour des comédiens d’interpréter des personnages complexes dans des situations riches et là, nous sommes servis. Si l’issue nous en est connue, le suspense et l’intérêt ne faiblissent jamais et le chemin qu’emprunte chacun des adversaires pour arriver à ses fins nous surprend à chaque instant. Nous sommes dans les coulisses de la politique, souvent cachées, où les destins se nouent, les ambitions s’expriment et les caractères se cristallisent.

Éric CIVANYAN



de Georges Naudy
mise en scène Éric Civanyan

avec 
Philippe Magnan, Cyrille Eldin

scénographie Edouard Laug
costumes Régine Marangé
assistante à la mise en scène Sylvie Paupardin

soutien et résidence : ville de Saint-Maurice - Théâtre du Val d'Osne

production Théâtre de l'Atelier, François Volard Acte 2, Serge Paumier Productions
coproduction Le Radiant Bellevue Caluire-Lyon



PHILIPPE MAGNAN EN FRANÇOIS MITTERRAND
Comment avez-vous été associé à ce projet ?

J’avais déjà eu l’occasion de jouer le rôle de François Mitterrand à deux reprises. La première fois, au cinéma, dans L’Affaire Farewell, film réalisé par Christian Carion et inspiré de l’histoire vraie d’un espion russe passé à l’Ouest, dans laquelle Mitterrand avait joué un rôle certes secondaire mais déterminant. Deux ans plus tard, Serge Moati, voulait réaliser un docu-fiction sur les trois premières années de ce premier septennat. Ce téléfilm, Changer la vie, fut diffusé le 10 mai 2011 et l’expérience fut tout à fait passionnante. Travailler avec Moati, qui fut un des proches de Mitterrand, nous a apporté beaucoup d’informations très précieuses et constitua pour moi une expérience profonde qui m’a laissé un souvenir vif et ému. Quand Éric Civanyan m’a contacté, l’écriture brillante de Georges Naudy et sa manière judicieuse de présenter ces deux tempéraments très opposés, ces deux psychologies et ces deux conceptions très différentes de la politique a emporté mon accord.

Comment Mitterrand et Rocard apparaissent-ils dans cette pièce ?

On surnommait Mitterrand le Sphinx, comme s’il posait des énigmes dont il refusait de livrer la solution. Un journaliste a décrit la relation qu’il entretenait avec Rocard avec ces deux mots : le mépris et la haine. Je crois que le terme d’opposition, qui donne son titre à la pièce, est beaucoup plus juste, avec l'avantage supplémentaire d'être à double sens. Rocard y apparaît comme un technicien, issu de l’Inspection générale des finances, à la vision concrète et pragmatique. Mitterrand est plus idéologue, plus politique. Prenant de la hauteur, il parle des dolmens, des pierres levées, des arbres, des forces de l’esprit dont on doit s’inspirer. Cet aspect de sa personnalité me fait étrangement penser à cette phrase de De Gaulle : « Ensuite, regardant les étoiles, je me pénètre de l'insignifiance des choses.»

Cette opposition est-elle un dialogue ou une confrontation ?

Leur rencontre est un dialogue, mais en même temps on a l’impression fallacieuse que Mitterrand n’écoute pas ; il semble plus dégagé, plus indifférent et se réjouir même d’être énigmatique. Comment concevoir une dialectique entre ces deux voies parallèles ? Comment tracer ces voies qui finissent par se croiser alors qu’elles n’auraient pas dû y parvenir, un peu comme dans cette autre géométrie où les parallèles finissent parfois par se rejoindre et se rencontrer. Il y a, dans tous les sens du terme, du jeu dans cet échange. Mitterrand désarçonne et désarticule sans arrêt un Rocard qui essaie de recoller les morceaux pour finir piégé et comme hypnotisé. Georges Naudy s’est inspiré de propos qui ont été dits, prononcés ou écrits par l’un et l’autre et il les insère dans une organisation dramaturgique tout à fait remarquable, à l’instar de celle d’une pièce classique : unité de temps, de lieu et d’action pour une rencontre qui a duré effectivement environ 1h30.

Difficile, ou non, de jouer un Sphinx ?

Il est toujours difficile de jouer une pièce à deux personnages, surtout lorsque, comme celle-là, elle impose une confrontation toute en tension. Il est aussi très difficile de jouer des figures historiques que les spectateurs ont encore en mémoire. C’est pour cela que je répugne à parler d’incarnation. Il ne s’agit surtout pas d’imitation, mais plutôt d’évocation. C’est par le verbe que ce qui va être joué va permettre de repenser au personnage historique. Et puis c’est aussi aux plus jeunes que s’adresse cette pièce, même s’ils n’ont pas connu les images en direct de ces hommes d'État. La pièce dépasse son inspiration historique : l’opposition qu’elle présente s’inscrit dans la situation des années 80 mais peut aussi bien faire référence à celle d’aujourd’hui. Mitterrand et Rocard sont ici presque comme deux modèles politiques et cette opposition, souvent très drôle, est une comédie passionnante de la vie et du pouvoir.

 

CYRILLE ELDIN EN MICHEL ROCARD

Pourquoi avez-vous accepté de participer à ce projet ?

J’ai un lien quasi ésotérique avec cette pièce, je l’ai vécu comme un signe du destin ! Mon père avait une passion pour Rocard qu’il défendait vaillamment face aux « conspuations » de ses amis. Mon oncle lui était un mitterrandien et mitterrandiste convaincu, admiratif de l’immense culture de cet homme qui respirait la France. Je vivais déjà, au coeur de la cellule familiale, l’opposition mythique que met habilement en mots la pièce de Georges Naudy et... jusqu’au cimetière puisque les cendres de Rocard se retrouvent inhumées près de celles de mon père en Corse.

Dès la première lecture de la pièce, nous avons tous senti que cette rencontre au sommet, construite habilement comme un patchwork de moments vécus et rapportés, générait un réel intérêt. Philippe Magnan pertinent, fin, ironique a autant de palettes de jeu que Mitterrand.

Comment incarner cette opposition ? Le duel est-il joué d’avance ?

Évidemment, nous connaissons tous la fin de cette histoire, la dramaturgie ne repose pas sur un suspens. Elle se déplie plus en profondeur, sur ce qu’ont été ces deux hommes, leurs points forts et leurs faiblesses ; le style contre les idées.
Rocard, le pragmatique, très au présent, engoncé dans son personnage sérieux, sans fantaisie, investi de sa lucidité économique et qui, de toute évidence, est en recherche permanente d’un père. Il peut convaincre mais tente de se convaincre aussi lui-même et tombe parfois dans les pièges du Sphinx. La politique est d’une cruauté absolue.

Mitterrand l’homme d’esprit joue bien sûr mais il est très à l’écoute et cette attention accrue lui donne toujours un coup d’avance.
Cette pièce échappe clairement à son auteur, elle est très bien construite et cet assemblage d’anecdotes, de joutes verbales réunies en une unité de temps et de lieu révèle les apparences trompeuses et permet de se poser beaucoup de questions.

Je travaille mon personnage en m’interrogeant d’abord sur le ressenti, comment vit-on cette situation ? Le texte a sa musique propre, une diction particulière va s’imposer d’elle-même. C’est un homme qui est dans le concret, il y va et il réalise.

Diriez-vous que c’est une pièce politique ?

Oui absolument et c’est aussi une comédie cruelle et déstabilisante. Certaines réparties sont magnifiques, pétries d’humour et d’esprit quand Mitterrand répond à Rocard « On imagine difficilement une avenue Rocard ou même un boulevard portant votre nom. Peut-être, à la rigueur, une impasse... », un exemple parmi d’autres. L’intérêt politique vient surtout de la compréhension en détail de ce qui se joue à ce moment crucial pour la gauche : qui va représenter le parti socialiste à l’élection présidentielle ? Dans une époque où la gauche n’existe plus, c’est important de se replonger dans ces années où elle avait une crédibilité. Et au-delà des considérations politiciennes, c’est avant tout deux hommes intelligents qui se font face ; la lucidité rocardienne et l’ésotérisme mitterrandien font bouger les lignes.




Télérama
Qui sera candidat socialiste à l’élection présidentielle de 1981 ? L’énigmatique premier secrétaire du parti, François Mitterrand, qui n’en est pas à son coup d’essai en matière de présidentielle, ou le brillant technocrate Michel Rocard, jeune inspecteur des finances fourmillant d’idées et plus à gauche que son aîné... C’est à leur ultime débat imaginaire – pour décider entre eux qui se présentera – que nous convie le metteur en scène Éric Civanyan dans une partition souvent piquante de Georges Naudy. Qui s’est attaché à composer ce dialogue à partir de répliques authentiques des deux hommes. Le résultat est brillant, méchant. Dans un décor habile et minimaliste, on y retrouve une histoire française un peu oubliée ; à l’heure où les idées et idéologies avaient encore leur place dans un monde qui n’était pas que libéral...

Le Figaro

Il n’est pas nécessaire d’être mitterrandiste ou rocardien pour apprécier L’Opposition, qui se joue ces jours-ci au Théâtre de l’Atelier. Ni même d’être féru de politique. Car l’affrontement de Michel Rocard et François Mitterrand est avant tout celui de deux psychologies. Deux caractères que tout oppose. Le premier est homme de chiffres, le second de lettres ; l’un est représentant de la Nouvelle Gauche, l’autre dépositaire de l’ancienne.

Le Bordelais Georges Naudy, instituteur de 57 ans encore jamais joué à Paris, a imaginé le contenu d’une rencontre dont on sait aujourd’hui qu’elle s’est réellement tenue, rue de Bièvre, à l’initiative de Jacques Attali…

Nous sommes en 1980 et il s’agit de « s’entendre » sur celui des deux qui représentera leur courant politique aux prochaines présidentielles.

« Savez-vous qu’en dix ans ce n’est que la deuxième fois que vous me recevez dans votre bureau ? » attaque d’entrée Rocard. « Il ne faudrait pas que ça devienne une habitude, répond perfidement Mitterrand.  Vous savez comme sont les gens. Ils jaseraient. »

Le dauphin et le requin

Rocard a les dents longues, mais Mitterrand les a plus aiguisées. Du début à la fin, c’est lui qui mène la danse, lui qui reçoit, qui éconduit, lui qui l’emportera à l’heure où l’autre se couchera. Philippe Magnan ne se contente pas de jouer Mitterrand. Il est Mitterrand. Dans toute sa ruse et son machiavélisme. Cyrille Eldin est lui aussi très convaincant dans le rôle de Rocard et, aussi curieux que cela puisse paraître, Georges Naudy parvient à ménager le suspense. « Comme dans un épisode de Columbo, s’amuse Eric Civanyan qui signe la mise en scène, on connaît l’issue, mais on veut voir comment l’inspecteur débrouillera l’affaire… » ici l’on veut voir comment Mitterrand embrouillera son dauphin. Il y a toujours un grand danger à être dauphin parmi les requins.


Le Point

Mitterrand et Rocard de retour… au théâtre.
François Mitterrand premier secrétaire du Parti socialiste, reçoit à son domicile parisien, rue de Bièvre, Michel Rocard, député-maire de Conflans-Sainte-Honorine, qui veut se présenter comme lui à la présidentielle de 1981. Une élection que la gauche pourrait remporter pour la première fois de la Vème République si elle n'y va pas divisée…

Que se passe-t-il lors de leur entretien ? La pièce l’Opposition le révèle. Il s'agit d'une fiction, inspirée de choses dites par les hommes forts du Parti socialiste. Sur scène, Mitterrand lit une vieille édition de Lamartine devant son immense bibliothèque qui touche presque le plafond. Avec malice et patience, il va retourner la tête de Michel Rocard afin qu'il renonce à se présenter à la présidentielle. Il lui parle du vol des grues dans le ciel, de l'averse, lui fait boire du vin blanc. Le texte de L'Opposition Mitterrand vs Rocard, écrit par Georges Naudy, est savoureux, rythmé et inventif. Les deux comédiens, Philippe Magnan et Cyrille Eldin, redonnent vie à deux monuments du socialisme. Un duel politique magnifique comme on les aime. Et comme il n'en existe plus…


L'Express

C’est un épisode de la vie politique que les spécialistes adorent… Nous sommes à l’automne 1980. Valéry Giscard d’Estaing, président de la République, semble bien difficile à battre lors de la prochaine présidentielle, dans six mois. Certes, la crise économique fait des ravages, avec un chômage et une inflation au sommet. Mais la droite et le centre ont gagné les législatives de 1978 et l’on imagine mal la gauche emporter l’Élysée.

Un homme, Michel Rocard, va se lancer dans la campagne, c’est imminent. Déjà candidat – malheureux – en 1969, il est désormais porté par l’opinion : il incarne la gauche moderne, réaliste. Mais chacun se demande si le premier secrétaire du parti socialiste, François Mitterrand, va laisser son cadet s’envoler sans réagir. Mitterrand a battu Rocard, un an plutôt, lors d’un congrès socialiste sanglant, à Metz. Ce n’est pas pour jeter l’éponge aujourd’hui… Mais le candidat de 1965 et de 1974 est aussi usé, il paraît obsolète, « archaïque », comme disent les rocardiens…

Pour en avoir le cœur net, pour savoir si le vieil éléphant va se lancer, Michel Rocard obtient un rendez-vous en tête-à-tête, en s’appuyant sur l’entregent de Jacques Attali, conseiller de Mitterrand et intellectuellement proche de Rocard. « Votre ami Rocard », comme dit Mitterrand à Attali pour mieux dénigrer son rival. Tel est le cadre, telle est l’intrigue, de L’Opposition, Mitterrand vs Rocard une pièce savoureuse et passionnante qui se joue au théâtre de l’Atelier.

Mitterrand reçoit Rocard chez lui, rue de Bièvre, dans ce qu’on appelle son pigeonnier, un bureau en haut d’un escalier. Longue conversation. Duel à fleurets mouchetés, puis sans mouches. Choc d’idées, corps à corps d’ambitions. Poker menteur, aussi. Mitterrand fait croire qu’il va y aller, puis qu’il va renoncer, qu’il ne sait pas, et puis non, et puis oui…

S’affrontent en fait deux conceptions du pouvoir présidentiel : pour le Charentais, c’est d’abord une façon d’incarner la France, de fusionner avec son Histoire, d’être comme un arbre en terre, auteur et héros d’un chapitre du roman national; pour le cadet, il s’agit de réformer, d’agir, de légiférer – bref, président, c’est un métier. Se heurtent, bien sûr, deux visions de la gauche : elle est cérébrale, intellectuelle et technique pour Rocard, elle est philosophique, spirituelle et un peu fumeuse pour Mitterrand, qui vient de toute façon de la droite, et en garde les valeurs.

Se heurtent aussi, sans pitié, deux psychologies. Mitterrand est un fauve carnassier, qui tue par nécessité mais aussi par nature. Il est le politique par essence, il est le Prince tel que le rêve Machiavel. Rocard est un échassier de la politique, précautionneux, fragile et scrupuleux. Pour lui, la fin ne justifie pas toujours les moyens, et la victoire ne peut se suffire à elle-même.

Bien entendu, dès les premières secondes de la pièce, on sait qui va l’emporter. Pas seulement parce que l’histoire nous l’apprend. D’abord, parce qu’un homme comme Mitterrand ne peut pas être devancé, remplacé, supplanté par un homme comme Michel Rocard. S’ouvre alors un jeu du chat et de la souris, élégant, drôle est impitoyable.

On ne sait pas ce que ces deux hommes se sont vraiment dit lors de cet épisode qui a bel et bien existé. Mais l’auteur, Georges Naudy, en rend l’évidente substance en se fondant sur des propos tenus ailleurs, authentiques ou apocryphes. La substantifique moelle de la haine qui opposa ces ennemis de trente ans est sur le plateau, juteuse, fumante, fascinante. C’est pertinent, c’est fin, c’est percutant. Après une première version où Rocard était piétiné de bout en bout, l’auteur a su muscler son texte et montrer que la souris pouvait mordre et griffer à quelques reprises. Cela ne change en rien la domination intellectuelle et mentale de Mitterrand sur Rocard, mais cela donne une pièce plus variée, plus colorée. L’auteur a su convaincre Philippe Magnan de prêter une fois de plus ses traits à François Mitterrand. Non seulement il lui ressemble, mais il en a la présence, la pesanteur et un magnétisme un peu plus dur, moins charmeur que le modèle, mais tout aussi efficace. Face à lui, Cyrille Eldin est un Rocard tout à fait convaincant, sec et sympathique, intelligent et fragile. Ce qui est le plus impressionnant et fascinant, c’est qu’il apparaît évident que les deux hommes, dès le début, savent comment tout cela va se terminer. Mais il faut jouer la partie…


Le Figaro
Marin de Viry

En 1980, Mitterrand reçoit Rocard rue de Bièvre pour s’accorder sur le futur candidat du parti à la présidentielle. On connaît la suite mais moins la tenue de cette rencontre qu’Éric Civanyan imagine saignante.

Philippe Magnan et Cyrille Eldin, tous deux formidables dans leur incarnation de Mitterrand et de Rocard

Quelques mois avant la présidentielle de 1981, assis à son bureau de notable, rue de Bièvre, un homme lit intensément La Mort de Socrate de Lamartine, dans une édition rare. On ne dérange pas François Mitterrand pendant la lecture d’un poème. Quelqu’un ose toutefois déroger à la règle. On sonne à la porte. Il continue sa lecture. On sonne à nouveau. Ayant terminé sa strophe, il va ouvrir, de très mauvaise humeur, à Michel Rocard. On comprend qu’il a fait exprès d’être dérangé dans sa lecture, pour mieux mobiliser sa méchanceté contre son visiteur. Il en aura besoin pour soutenir ses autres facultés de combat, car ce n’est pas un petit rendez-vous: Rocard et lui doivent s’accorder, s’ils le peuvent, pour décider lequel des deux se présentera à l’élection suprême. Jacques Attali a organisé la rencontre. Cela fait partie du piège: Rocard ne pourra en effet pas se dire que c’est Mitterrand lui-même qui avait ressenti le besoin de le voir. Quand il ferme son livre, Mitterrand se souvient que son ambition de chaque instant est de devenir président de la République. Et quand il se dirige vers la porte pour ouvrir à son rival, il a déjà gagné. C’est l’autre qui attend. C’est l’autre qui passera après.

C’est le bureau de Mitterrand qui inspire la mise en scène d’Éric Civanyan. La bibliothèque est immense et monte à des hauteurs inhabituelles: une colonne de livres semble toucher au ciel de l’esprit. Un canapé accueille les hommes fatigués, et peut-être les femmes défaillantes. On ne voit pas la porte, comme s’il s’agissait d’un antre, d’une grotte, du terrier de quelque animal dangereux et solitaire. La table de travail sent son propriétaire foncier ou son notaire, représente la province et ses profondeurs mauriaciennes. Un fauteuil à bras, très rembourré, accueille de longues séances de lecture et d’écriture du tribun.

Nous sommes chez un bourgeois maurrassien ayant viré de bord à gauche pour prendre le cap du pouvoir

Le plateau rempli de bouteilles d’alcool endort la méfiance, ajoute une touche de fausse convivialité. C’est le quartier général d’un homme seul. Quiconque y pénètre devient un étranger en situation d’infériorité, une proie potentielle. Nous sommes chez un bourgeois maurrassien ayant viré de bord à gauche pour prendre le cap du pouvoir. Dans l’esprit du maître des lieux, c’est Machiavel d’abord, et beaucoup plus bas, les idées de gauche. Mitterrand concassera Rocard, le distraira, lui provoquera la berlue, le snobera, plantera des banderilles dans sa confiance en lui-même et en son projet ; puis, quand il sera bien mort, fera semblant d’être compatissant. Philippe Magnan incarne ce Mitterrand qui conjugue l’étrangleur ottoman, le dispensateur de vacheries assassines de salons, le catcheur au long cours, et le bourgeois dérangé dans ses plans : formidable!

Face à ce menteur hiératique, Rocard, incarné par Cyrille Eldin, ne démérite ni par le texte ni par l’interprétation. Cet albatros mazouté va à la bataille avec plus d’idéal, mais moins d’envie personnelle et beaucoup moins de préparation du terrain. Le rôle et son interprétation pourraient toutefois insister sur la névrose, l’agitation, l’intensité des contradictions, les éruptions du subconscient et ces accès de sincérité et de sentimentalité qui sont, pour un vieux lutteur comme Mitterrand, autant de prises pour le mettre à terre et à mort... Les derniers vers de La Mort de Socrate: On n’entendait autour ni plainte, ni soupir !... C’est ainsi qu’il mourut, si c’était là mourir !

Excellente soirée que l’on doit au texte vif de Georges Naudy. On y voit se préparer quatorze ans pour rien, et s’annoncer le culte futur d’une personnalité à triple fond : l’immobilisme, l’ambiguïté, et l’hédonisme.

 
La Vie

En 1980, François Mitterrand et Michel Rocard se rencontrent chez le premier, alors secrétaire général du Parti socialiste, rue de Bièvre, à Paris, pour savoir lequel des deux présentera sa candidature à la présidence de la République en 1981. Il n’existe, bien sûr, aucun enregistrement de cet entretien à huis clos. D’où l’idée amusante de Georges Naudy qui, en s’appuyant sur une copieuse documentation, imagine la confrontation entre les deux hommes. Le dialogue savoureux, impeccablement servi par les comédiens Philippe Magnan et Cyrille Eldin, abonde en traits d’humour et autres piques lancées par un Mitterrand aussi impitoyable que manipulateur. Rocard n’est pas en reste évidemment. Mais même

S’il défend âprement sa cause à coups d’arguments difficilement contestables, il est régulièrement déstabilisé par les ruses et autres chausse-trapes que lui tend son adversaire. Bien que l’on en connaisse l’issue, ce duel sans merci, mais non sans humour – et surtout remarquablement joué–entre deux « animaux politiques » se regarde avec beaucoup de plaisir.

 

Gala

Le choc des titans !

François Mitterrand et Michel Rocard se méprisaient. Leur rivalité au sein du Parti socialiste a sans doute connu son paroxysme en 1980, lorsqu’ils se sont rencontrés rue de Bièvre à Paris, pour décider lequel serait le candidat à l’élection présidentielle de 1981. Georges Naudy, qui a imaginé cette pièce en puisant dans leurs interviews et leurs écrits, met en lumière deux styles, deux caractères interprétés par Philippe Magnan et Cyrille Eldin. La joute politique à son sommet.


Fip

Courant 1980, Mitterrand et Rocard se sont rencontrés rue de Bièvre pour « s’entendre » sur celui des deux qui représentera le parti socialiste en 81 pour la présidentielle...

Ce Duel féroce à fleurets certainement pas mouchetés... est aujourd’hui porté sur la scène du théâtre de l'Atelier à partir de ce soir 21h. La pièce s'appelle "L'opposition" elle est signée Georges Naudy et interprétée par Philippe Magnan (qui a déjà incarné Mitterrand à 2 reprises) et par Cyrille Eldin dans le rôle de Rocard ...unité de temps, unité de lieu et d'action pour cette passionnante comédie de la vie et du pouvoir : une rencontre qui a effectivement duré environ 1h30 ! le temps de cette confrontation.


CNews

Dans « L’Opposition », pièce qui reconstitue la rencontre entre François Mitterrand et Michel Rocard en 1980, alors que les deux hommes envisagent de se présenter à la présidentielle de 1981, Philippe Magnan et Cyrille Eldin se glissent dans la peau de ces deux figures politiques avec intensité. Un duel féroce résolument contemporain.

1980, rue de Bièvre, le jeune Michel Rocard a rendez-vous avec François Mitterrand, secrétaire national du parti socialiste. A partir de cette rencontre bien réelle, l'auteur Georges Naudy a imaginé ce qu'ils avaient pu se dire dans l'intimité de cet appartement. S’appuyant pour ce faire sur des interviews et des déclarations données par les deux hommes et leurs proches, il signe un face à face intense entre deux politiciens aux antipodes, convoitant le même objectif.

Sur scène, dans le décor feutré de son bureau, François Mitterrand lit au pied de son immense bibliothèque. Le téléphone sonne. « J’attends quelqu’un. Du menu fretin. Quelqu’un qui se fait souvent remarquer, mais qui n’est en rien remarquable » assène, d’entrée de jeu, l’excellent Philippe Magnan. Le premier coup d’une longue série tombe. L’enjeu de cette rencontre : lequel des deux incarnera la gauche pour les élections présidentielles. « Je vous soutiendrai, si toutefois je n’y vais pas moi-même », lance François Mitterrand à Michel Rocard. Pendant une heure et demie, les deux hommes vont s'affronter sur tous les plans : humain, idéologique, économique... Captivant.

UN DUO EFFICACE

Face à Philippe Magnan, parfait en animal politique lettré rompu au jeu du pouvoir, soufflant le chaud et le froid et portant ses coups avec esprit et férocité, Cyrille Eldin campe avec précision, humilité et détermination un jeune Michel Rocard, pragmatique et moderne. Un rôle à contre-emploi pour le comédien plus connu pour ses performances comiques, et ses interviews décalées et rentre-dedans de personnalités politiques. « Dans le cadre de ce que je fais depuis dix ans, c’est intéressant de se mettre à leur place », note ce dernier avant de souligner, à raison, la modernité de la pièce. « C’est vraiment d’actualité, c’est l’histoire qui se répète, c'est Valls, c'est Emmanuel Macron face à François Hollande », souligne-t-il.

UNE PIÈCE MODERNE À L’ÉCRITURE MORDANTE

Loin des petites phrases polémiques postées aujourd'hui sur les réseaux sociaux, le texte à l’écriture mordante et jubilatoire donne à entendre un règlement de compte subtilement méchant, intelligent, riche, qui pourrait tout aussi bien faire écho à l'actualité. Guerre interne, ambition personnelle, vision du capitalisme, mais aussi conception des sondages - « des hochets pour distraire le peuple » -, du programme de campagne - « c'est comme la carte au restaurant, on prend toujours le menu » - , ce duel, mené tambour battant, oppose avec force deux styles, deux visions de la politique, deux visions de l’économie, et plonge avec succès au cœur des codes et des coulisses du pouvoir. Un monde « où l'on peut être cruel autour d'un verre de vin blanc », ironise Cyrille Eldin.


Toute la culture

Courant 1980, Mitterrand et Rocard se sont rencontrés rue de Bièvre pour s’entendre sur celui des deux qui représentera le parti socialiste en 1981 pour la présidentielle. Le duel sera une féroce dispute entre deux narcissismes. La soirée est inventée par l’auteur tandis que sa teneur colle à la vérité des deux hommes. Tous les mots prononcés l’ont été mais en d’autres lieux et en d’autres circonstances. Georges Naudy a pioché dans leurs nombreux écrits, interviews, déclarations et à partir de leurs mots prononcés ça et là mais tous authentiques, il a construit un dialogue acéré, sans bavardage. La rhétorique devient une arme redoutable dans les mains du machiavélique Mitterrand. L’homme expérimenté laissera le jeune ambitieux se fatiguer. Par ses mots au fiel acide, il pèsera de tout le poids de sa condescendante et sa suffisance. Il accusera Rocard de complaisance avec la droite, évacuera d’un revers de manche ses propres manquements dont les exécutions en Algérie, dont son amitié avec Bousquet que l’on découvrira plus tard.

Les deux comédiens sont épatants. La pièce consiste a la fois en la reconstitution d’un épisode de l’histoire nationale et en une leçon de politique pour nous aujourd’hui. Philippe Magnan a déjà eu l’occasion de jouer le rôle de François Mitterrand, dans Changer la vie de Serge Moati. Il ressuscite ici le sphinx, un monument politique croyant à la force des pierres et des arbres, ne comprenant rien à l’économie, une sorte de Melenchon mais calme, voulant naïvement extraire la France du capitalisme tout en taxant un des effets de ce dernier : les riches . Cyrille Eldin incarne avec vérité un Michel Rocard au socialisme froid mais réaliste, un Macron avant l’heure, un suppôt de l’économie de marché à la sauce sociale démocrate.

Ce qui est beau au théâtre, c’est l’affrontement, prévient Éric Civanyan, le metteur en scène. Sa pièce est en cela très belle. Elle est captivante aussi par le combat des mots, et
par le KO de Rocard prononcé par Mitterrand lui-même, lumineux et habile intriguant bientôt président. La pièce est un délicieux moment de théâtre à ne pas rater.


Fou de théâtre

L’opposition Mitterrand - Rocard. Une pièce incontournable au théâtre de l’Atelier.
Courant 1980, Mitterrand et Rocard se sont rencontrés rue de Bièvre pour « s’entendre » sur celui des deux qui représentera le parti socialiste en 81 pour la présidentielle...

Duel féroce à fleurets certainement pas mouchetés...

C’est une pièce de fiction, mais l’entretien entre les deux a bien eu lieu et cela a permis à l’auteur d’en imaginer sa teneur en allant piocher chez l’un et l’autre tous les écrits, interviews, déclarations qui ont nourri les dialogues de la pièce. Tous les mots prononcés l’ont été, mais en d’autres lieux et en d’autres circonstances...

Cette pièce sous forme de joute verbale est vraiment réussie. C’est même un véritable bonheur d’assister à cette confrontation qui paraît si crédible et réaliste.

Georges Naudy qui s’est servi de véritables citations, d’écrits et d’interviews, a créé un texte brillant sur les stratégies du pouvoir et la politique. Il n’épargne pas ses personnages, aborde des sujets sensibles et ose nous dévoiler certaines failles tout en les aimant follement.

Quelles que soient nos opinions (ce n’est pas du tout je sujet de la pièce) on ne peut s’empêcher d’être ébloui par le panache et la classe qui se dégage de ses hommes politiques d’un autre temps.

La mise en scène d’Éric Civanyan est parfaitement sobre et toute en nuances, il a su retranscrire sur scène ce texte complexe qui alterne sans arrêt entre tension psychologique et humour.

Sans aucun temps mort et plein de rupture de rythme, le moins que l’on puisse dire et que la tâche n’est pas facile pour les deux comédiens.

Philippe Magnan, immense, est éblouissant.

Sans être dans l’incarnation ni l’imitation de Mitterrand, son talent est tel qu´à plusieurs reprises, on sent son âme planer sur scène.

Cyril Eldin est un peu plus hésitant, mais son jeu convient parfaitement à son personnage. Il se fait un peu « bouffer » par Magnan au même titre que Rocard par Mitterrand. Il faut dire que nous avons eu la chance d’assister à une vraie première. Éric Civanyan nous a expliqués en préambule qu’il aimait voir éclore ses pièces devant un public. C’était une expérience assez émouvante à vivre en tant que spectateur, mais certainement compliquée à appréhender pour les comédiens.

De toute évidence, la naissance de cette pièce magnifique s’est faite avec panache.

L’opposition Mitterrand - Rocard est une très belle pièce instructive et passionnante et un immense coup de cœur de cette nouvelle année théâtrale.


Sorties à Paris

Philippe Magnan est un comédien hors pair dans tous les registres.

C’est la troisième fois qu’il incarne François Mitterrand, il est étonnant, il s’est « Mitterrandisé » de belle façon. Cyrille Eldin est excellent, mais je regrette que lui ne soit pas « Rocardisé ». Michel Rocard avait une manière de parler très particulière qui a fait les beaux soirs de quelques imitateurs. Un texte éblouissant de Georges Naudy, dans une mise en scène de Eric Civanyan.

Un décor sobre dominé par une bibliothèque géante, qui reflète bien l’image d’un Mitterran fasciné par la littérature. C’est un entretien fiction, basé sur la réalité d’une rencontre entre les deux piliers du Parti-Socialiste, en 1980, rue de Bièvre. Un spectacle de qualité, qui réveille bien des souvenirs.


Froggy's delight

Comédie politique de Georges Naudy, mise en scène de Eric Civanyan, avec Philippe Magnan et Cyrille Eldin. Depuis "Le Souper" écrit en 1989 par Jean-Claude Brisville, le théâtre dit "de conversation" en ce que, dépourvu d'intrigue comme d'action, focalisé sur le dire et l'antagonisme philosophique, idéologique, politique, éthique ou moral de deux personnages dans un huis-clos fictionnel, suscite régulièrement tant l'imagination des auteurs que l'engouement du public. L'opus de Georges Naudy intitulé L'Opposition - Mitterrand vs Rocard intervient de manière émérite dans ce genre, avec l'affrontement des tempéraments et des idées et le sens de la formule, et le registre de la confrontation politique avec une partition construite à partir d'une entrevue réelle intervenue entre les deux prétendants potentiels à l'investiture pour l'élection présidentielle de 1981 et de leurs déclarations et écrits nourrissant de percutants dialogues théâtralisés. Georges Naudy a opté pour une trame claire que même signifie le décor conçu par Edouard Laug, un bureau dans lequel trône une monumentale bibliothèque toute en hauteur, symbole de la grande culture de son occupant mais également métaphore de statue du Commandeur ainsi qu'une méridienne évoquant le divan psychanalytique.

En effet, les protagonistes ressortent chacun à une des deux catégories d'hommes : les pères et les fils. François Mitterrand est un père, non le miséricordieux et aimant père biblique mais le saturne monstrueux dévorant ses enfants par crainte de leur succession, et, de plus, celui qui se veut le premier et dernier monarque de la gauche, celui sans postérité politique et magnifié par "sa" pyramide, celle placée au cœur du palais royal que fut le Louvre. Michel Rocard, de vingt ans son cadet, est un fils sous l'emprise d'un complexe d'Œdipe autant plus irrésolu que face à une double figure, celle du père tutélaire et celle du fondateur de l'Union de la gauche, il ne parvient pas à se résoudre à "tuer le père" et, en quête tant de la reconnaissance que de l'adoubement du chef, demeure ainsi en position de faiblesse. Dès lors entre le septuagénaire vieux briscard de la politique et de la gouvernance et le "jeune" prétendant technocrate qui, en pratique, ne connaît guère que le clochemerle municipal, la négociation, sinon le combat, s'engage avec virulence.

A la mise en scène de cette caustique partition, Eric Civanyan ne prétend ni à la réformation ni à l'originalité et veille à l'absence de dérive vers le numéro d'acteur comme la tentation caricaturale.

Au jeu, Philippe Magnan, marmoréen, manie à l'envi, et avec une évidente délectation, l'ironie, le sarcasme et l'humour pince-sans-rire, surtout aux dépends d'autrui, et l'instrumentalisation du vieux briscard, surnommé "le Sphinx", que le désir de revanche après deux défaites continue d'aiguillonner dans la course au pouvoir.

Et Cyril Eldin campe avec conviction, et de façon convaincante, l'outsider, éternel second, qui ne sort pas vainqueur de ces aiguisées joutes verbales qui égaient le spectateur tout en levant le voile sur les cyniques arcanes politiciennes.

Paris sur scène

Il s’agit d’un duel féroce à fleurets certainement pas mouchetés.

Un face à face entre deux comédiens qui jouent deux grands hommes politiques en incarnant François MITTERRAND et Michel ROCARD et les textes nous replongent à la fois dans l'histoire de la gauche d’une époque avec tout ce qu'elle avait de sombre mais aussi de vaudevillesque.

Beaucoup de rires et de la réflexion aussi.

C’est de la fiction mais l’entretien entre les deux hommes a bien eu lieu et cela a permis à l’auteur d’en imaginer sa teneur en allant piocher chez l’un et l’autre tous les écrits, interviews, déclarations qui ont nourri les dialogues de la pièce. Tous les mots prononcés l’ont été mais en d’autres lieux et en d’autres circonstances... Et c’est au talent de l’auteur que nous devons cette reconstitution à la langue riche, incisive et percutante : Ce qui est beau au théâtre, c’est l’affrontement.

C’est la possibilité pour des comédiens d’interpréter des personnages complexes dans des situations riches et là nous sommes servis. Si l’issue nous en est connue, le suspense et l’intérêt ne faiblissent jamais et le chemin qu’emprunte chacun des adversaires pour arriver à ses fins nous surprend à chaque instant. Nous sommes dans les coulisses de la politique souvent cachées, où les destins se nouent, les ambitions s’expriment et les caractères se cristallisent.

A découvrir absolument que vous aimiez la politique ou non, surtout en ces temps de campagne municipale car ce dialogue entre MITTERRAND Philippe MAGNAN et ROCARD Cyrille ELDIN – résonne encore aujourd'hui.

R42 culture gourmande

Courant 1980, François Mitterrand et Michel Rocard se rencontrent pour s’entendre sur celui des deux qui représentera le PS pour l’élection présidentielle en 1981.

La rencontre a lieu dans le bureau de Mitterrand lorsqu’il habitait rue de Bièvre, un décor sobre et élégant avec une superbe bibliothèque. La mise en scène d’Eric Civanyan est sobre mais sert avec justesse les échanges entre ces deux hommes politiques.

Parlons-en de leurs échanges : car même s’ils ont été créés de toute pièce par l’auteur George Naudy, ils sonnent juste ! On croirait vraiment que cette conversation a existé sous la forme que nous découvrons avec plaisir. Les échanges sont savoureux, opposant le réalisme de Rocard à l’ésotérisme de Mitterrand. Nous sommes dans un jeu du chat et de la souris. A ma gauche, un manipulateur intelligent un brin sadique. A ma droite, un homme réaliste et honnête défendant des valeurs économiques pour améliorer la situation de la France. Nous assistons à un joute verbale savoureuse qui ne parle pas tant de politique que ça. Bien sûr Mitterrand, le "crocodile" ou le "dinosaure", raille avec cruauté les principes économiques défendu par Rocard, le ‘cheval de Troie du capitalisme’, mais il s’agit surtout d’admirer l’éloquence et le pouvoir des mots. Les coups bas sont autorisés évidemment pour notre plus grand plaisir.

Morceau choisi, c’est Mitterrand qui parle : « On imagine difficilement une avenue Rocard ou même un boulevard portant votre nom. Peut-être, à la rigueur, une impasse... »

On ne s’ennuie pas un instant même si on n’est pas trop versé en politique car les dialogues font mouche : ils sont intelligents, percutants et drôles. Et les comédiens sont de vraies incarnations des deux hommes politiques. Philippe Magnan est un François Mitterrand plus vrai que nature : attitude, intonation...tout est là ! Et Cyrille Eldin incarne intelligemment Michel Rocard tout en sobriété et retenue.

Je n’ai vraiment pas regretté cette sortie alors que les grèves de transport étaient encore bien prégnantes. A voir en ces temps d’élections municipales car il y a des correspondances avec ce que nous vivons.

Autre morceau choisi :

"Rocard : - le fils venge son père.

Mitterrand : - vous n’êtes pas mon fils !’
Rocard : - Peut-être votre dauphin...
Mitterrand : - les dauphins ne nagent pas avec les requins !"


Théâtresto

Courant 1980, Mitterrand et Rocard se sont rencontrés rue de Bièvre pour « s’entendre » sur celui des deux qui représentera le parti socialiste en 81 pour la présidentielle... C’est de la fiction mais l’entretien entre les deux a bien eu lieu et cela a permis à l’auteur d’en imaginer sa teneur en allant piocher chez l’un et l’autre tous les écrits, interviews, déclarations qui ont nourri les dialogues de la pièce. Tous les mots prononcés l’ont été mais en d’autres lieux et en d’autres circonstances... Et c’est au talent de l’auteur que nous devons cette reconstitution à la langue riche, incisive et percutante.

Bravo à l’auteur, Georges Naudy, et bienvenue dans la cour des Grands pour ce bijou d’humour caustique, cette joute verbale à fleurets pas toujours mouchetés entre ces deux monstres politiques. Le texte est ciselé et les répliques percutantes dont certaines ne manquent ni d’humour ni d’esprit. Notamment quand le roué Mitterrand confie à Rocard : » La droite, je la connais, j’en viens » ou quand pour l’enfoncer, il lui assène: » On imagine difficilement une avenue Rocard, ou même un boulevard, peut-être à la rigueur, une impasse... ». Le décor se remarque par sa « surprenante » bibliothèque, la mise en scène d’Eric Civanyan mettant efficacement en valeur le jeu des comédiens. Ces deux-là sont exceptionnels. Philippe Magnan nous campe un Mitterrand plus vrai que nature, par son physique, sa gestuelle, sa voix et bien sûr les flèches empoisonnées taillées sur mesure et trempées dans la « ruse » par ce « Sioux » d’auteur. Quant à Cyrille Eldin, lui qui il y a encore quelques années murmurait à l’oreille de Macron, il endosse avec talent le costume de Rocard. En résumé, le duel et les comédiens sont au sommet, une soirée « Himalayenne » comme on les aime.

Le Nouvel Obs
Mitterrand et Rocard se font une scène

En 1980, rue de Bièvre, François Mitterrand et Michel Rocard se rencontrent pour savoir qui sera candidat à la PRESIDENTIELLE de 1981. C’est aujourd’hui une pièce, avec Philippe Magnan et Cyrille Eldin.

Depuis le 20 décembre, à Porto Rico, les combats de coqs sont interdits. Les amateurs devront venir à Paris pour se consoler. A partir du 14 janvier, deux champions dressés sur des ergots armés d’éperons acérés, le plumage hérissé de colère, s’affronteront chaque soir sur les pentes de Montmartre : François Mitterrand et son challenger Michel Rocard. La pièce s’appelle « l’Opposition ». Elle est de Georges Naudy, un instituteur bordelais jamais joué encore, qui s’est plu à imaginer ce que se sont dit Rocard et Mitterrand lors d’une entrevue qui a réellement eu lieu rue de Bièvre en 1980 à l’instigation de Jacques Attali.

Il s’agit de choisir le candidat pour le Parti socialiste à l’élection présidentielle de 1981. Vieux routier de la politique, onze fois ministre sous la IVe République, battu par le général de Gaulle en 1965, puis en 1974 par Valéry Giscard d’Estaing, Mitterrand qui a 74 ans paraît alors « archaïque » à certains. Rocard n’en a que 50. Il est alors le leader de la « deuxième gauche », plus moderne, plus pragmatique, qui se propose de concilier le socialisme avec la loi du marché.

Dès leur première rencontre quatorze ans plus tôt, le courant n’est pas passé entre eux. Mitterrand, l’ancien avocat, le littéraire, avait alors 50 ans et pouvait s’enorgueillir d’avoir mis de Gaulle en ballottage. Rocard, le technocrate, le matheux, en avait 36. Disciple de Pierre Mendès France, ce « Tintin volubile et messianique », comme l’a décrit Robert Schneider, était à la tête du PSU, « peu d’électeurs et beaucoup d’idées ». Mais Mitterrand ne manquait ni de mémoire, ni de flair. Il n’avait pas oublié que Rocard l’avait traité d’ « assassin » quand, ministre de la justice de Guy Mollet, il refusa la grâce de quarante-cinq algériens condamnés à mot, alors que Mendès France, Gaston Defferre et Alain Savary s’y montraient favorables. Et il avait aussitôt pressenti en Rocard pire qu’un adversaire ou un ennemi : un rival. Dans une pièce de Montherlant, la Guerre civile se présente : « je suis la bonne guerre, celle où l’on sait pourquoi l’on tue et qui l’on tue. » La rancune de Mitterrand n’a jamais désarmé. Même et surtout quand il a fait de Rocard son Premier Ministre.

Précisons que « l’Opposition » est avant tout une pièce comique. Vous vous souvenez des strips de « la Cohabitation » ? Cette BD de Régis Franc comportait deux personnages, Jacques Chirac dessiné comme un loup lunetté aux canines saillantes, et Mitterrand, coiffé d’un némès comme le sphinx de Gizeh et aussi impénétrable que lui. Chaque fois le Président roule le Premier ministre dans la farine. Dans l’un des épisodes, Mitterrand prête à Chiac une admiration maladive pour Giscard : « C’est un peu comme si, moi-même j’admirais… Voyons… Qui pourrais-je admirer ?!? Rocard ? » Là, cette supposition aberrante l’oblige à quitter « la noble attitude des grands sphinx allongés au fond des solitudes » et son ricanement défige son masque.

LE SPHINX ET LE HAMSTER

Il y a du jeu du chat avec la souris dans « l’Opposition ». Chaque fois que « Hamster érudit » (surnom de Rocard chez les scouts) croit pouvoir quitter le ring en vainqueur, la patte griffue de Raminagrobis l’y ramène. Bien sûr, on connaît la fin du match. On sait que Rocard commet une faute de tactique en se déclarant candidat le premier. Mitterrand, plus matois, maintient le suspense. Venu réclamer son désistement et son soutien, Rocard repartira Gros-Jean comme devant, ayant compris que le Florentin lui ferait toujours des crocs-en-jambe et ne renoncerait jamais à rien.

Eric Civanyan a reçu la pièce par la poste : « Je ne connaissais pas l’auteur. Quand je l’ai découverte, il y avait encore beaucoup de travail à faire pour l’équilibrer. Le duel était trop à l’avantage de l’un et au détriment de l’autre. Georges Naudy a bossé comme une brute pendant six mois. La différence entre les bons auteurs et les mauvais, c’est que les premiers savent réécrire. » La plupart des répliques sont authentiques, provenant de sources diverses. « Encore faillait-il, au-delà de la vérité historique, une dramaturgie forte. Si la pièce est intéressante à mettre en scène, et même jubilatoire, c’est que les deux protagonistes suivent deux rythmes différents. L’un d’une ardente sincérité, l’autre dans la lenteur et la réflexion. »

Pour Mitterrand, Civanyan a recruté Philippe Magnan, qui excelle dans l’emploi du cynique. Il a d’ailleurs déjà incarné Mitterrand deux fois : au cinéma dans « l’Affaire Farewell », de Christian Carion (2009), et à la télévision dans «Changer la vie », de Serge Moati (2011).

« Il manquait le théâtre », conclut-il en souriant. Plus qu’une ressemblance physique, c’est sans doute à cause d’une même manière de s’exprimer qu’on fait appel à lui. Une certaine impassibilité du masque. « Quelqu’un, je me rappelle plus qui, a écrit que je mijotais les mots avant de le projeter. C’est peut-être ça qui évoque Mitterrand. Entre le téléfilm de Moati et cette pièce-ci, on m’a proposé au moins six fois de l’incarner. Ne voulant pas en faire mon fonds de commerce, j’ai refusé. Mais là, la pièce m’a trop tenté. »

Pour Rocard, c’est Cyrille Eldin, acteur, animateur et chroniqueur bien connu de abonnés de Canal+, qui a été choisi. Lui-même s’avoue étonné. Il a déjà joué un politique, mais c’était un animal à sang froid, à savoir Edouard Balladur dans le téléfilm de Pierre Aknine, « Mort d’un président » (2011). « Rocard, je l’ai interviewé plusieurs fois au Sénat, à propos de l’Europe ou de Manuel Valls. Si j’avais pensé jouer un jour son rôle… On s’était bien entendus. Autre point commun entre lui et moi, ses cendres ont été transférées à Monticello, le village de Haute-Corse d’où je viens. Si j’aime figurer Rocard, c’est qu’il a raison. Sa vision économique est plus juste, plus lucide que celle de Mitterrand. Mitterrand a plus de style, il est plus romanesque, mais il a rendu la gauche boboïsante, profiteuse, moralisatrice mais jouisseuse… Avec lui le règne des petits marquis, des Jack Lang, etc. C’est amusant, ces deux représentants de la gauche qui s’accusent mutuellement d’être de droite. Ce qu’il y a, c’est que quand Mitterrand dit à Rocard que les éléments ne sont pas avec lui, il a raison. Rocard a le nez dans le guidon. Mitterrand conserve toujours une placidité cardinalice. C’est un opportuniste génial. Comme Macron. »

Artistik Rezo

Ici, la question est : Être ou ne pas être le candidat du Parti Socialiste à l’élection présidentielle de 1981 ? Les deux rivaux François Mitterrand et Michel Rocard y aspirent avec la même ambition. On assiste à leur dialogue supposé dans l’appartement de Mitterrand, alors secrétaire général du PS. Les deux bretteurs n’ont pas la même carrure, l’un est nerveux, l’autre a la force tranquille.

Bien que l’on en connaisse l’issue, le tête-à-tête entre ces deux figures politiques vaut pour sa redoutable ruse et son piment quant à l’art de converser diplomatiquement. Nous sommes dans le courant de l’année 1980 et Mitterrand reçoit Rocard dans son appartement personnel rue de Bièvre. Le bureau est imposant mais la bibliothèque l’est encore plus. Haute au point de rejoindre les cintres de la scène, elle évoque à elle seule un élément moteur de la personnalité de François Mitterrand, la littérature. À cela s’ajoute son goût pour la nature, qu’une fenêtre sur le plateau indique discrètement et vers laquelle Mitterrand va souvent se diriger, parlant du temps, de la pluie et des oiseaux. En face de cet hôte qui se cache subtilement derrière ses centres d’intérêt autres que la politique, Michel Rocard, vêtu d’un imperméable gris-beige, ressemble plus à un employé de bureau qui se déplace en métro avec une sacoche remplie de dossiers chiffrés.

Le contraste entre les deux hommes est évident et François Mitterrand, perspicace, ne cesse de se déplacer avec habileté sur la ligne qui les sépare. Il est posé, mystérieux aussi, les mains de préférence croisées derrière le dos à moins qu’il ne touche un livre de Lamartine posé sur son bureau. Il laisse volontairement Michel Rocard se découvrir, exposer ses intentions, dévoiler et développer les grandes lignes sur lesquelles il fondera sa campagne présidentielle. Alors maire de Conflans-Sainte-Honorine et beaucoup plus jeune que Mitterrand, Rocard débite son programme dont la tournure est orientée vers une complaisance avec la droite pour des questions économiques. Mitterrand écoute et intervient avec son art des formules assassines sans en avoir l’air. Il recadre son interlocuteur en lui rappelant les fondements socialistes, le sphinx est alors attaqué sur son passé notamment vichyste. Les piques fielleuses ne manquent pas de part et d’autre, toujours très calmes voire ironiques du côté de Mitterrand, moins contrôlées du côté de Rocard. L’homme expérimenté laisse ainsi Rocard se fatiguer, s’épuiser même, avec un ton paternaliste faussement protecteur quand son poulain n’en peut plus.

Les deux acteurs réussissent à endosser avec crédibilité ces deux hommes qui ont tracé un pan de la politique française, François Mitterrand au plus haut niveau. Ils parviennent à transmettre les divergences de leurs tempéraments et l’on connait la suite de leur relation devenue plus féroce. Pour ceux qui ont traversé cette période ou pour les plus jeunes, ce morceau d’opposition au sein d’un même parti mérite de l’attention, car l’impact sur la vie française en fut et en reste important, le PS ayant été remué dans ses fondements à travers ces protagonistes. Les dialogues rassemblés ont une réelle exactitude voulue par l’auteur et l’ensemble, bien que linéaire, ne manque pas de valeur de transmission et d’information.

Un fauteuil pour l'orchestre

On est en 1980, dans l’appartement rue de Bièvre de François Mitterrand qui est alors premier secrétaire du Parti socialiste. Le candidat de ce parti à l’élection présidentielle de l’année suivante n’a pas encore été désigné. Michel Rocard s’est déjà entouré d’une équipe de soutien et ne cache pas son ambition et François Mitterrand qui a déjà été candidat deux fois (1965 et 1974) n’entend pas laisser la place à « quelqu’un qui se fait souvent remarquer mais n’est pas remarquable ». En dépit du fait que le spectateur connaisse de fait la fin, le suspens naît de l’agencement des dialogues et des rapports de force entre les deux hommes. Tous les mots prononcés l’auraient véritablement été, mais dans des temps et des supports divers.

La confrontation n’a rien de bienveillante à la différence d’autres duos politiques présentés récemment sur les plateaux de théâtre.

Dans L’opposition, on assiste dès la deuxième minute à un duel entre deux concurrents, à l’éducation, la culture, l’âge, le rapport à la politique et au socialisme qui n’ont rien en commun.

Le metteur en scène et le scénographe n’ont pas opté pour l’originalité et adopté tous les codes classiques du décor intérieur d’un homme politique lettré (bureau en bois, immense bibliothèque qui monte presque jusqu’aux cintres et pleinement éclairée, chaises vintages et grand fauteuil design de lecture), la force de la pièce réside dans le texte qui rebondit sans cesse. Le montage de Georges Naudy est bluffant : un florilège de réparties cinglantes, parfois cruelles, toujours extrêmement drôles dans un duel où il n’y a pas d’égalité des armes. D’un côté, un homme d’expérience, féru de lettres et d’histoire, pouvant citer aussi bien Lamartine que Spinoza, tenant les rennes du parti qu’il a créé et se drapant du devoir « d’assurer l’unité » du parti pour mieux dissuader un concurrent potentiel. De l’autre, un homme « pas si jeune » que cela, aux idées réformistes, notamment en économie, pragmatique, mais peu sûr de lui et qui pour se défendre des attaques et du mépris de Mitterrand l’affronte, lui fait son « procès », y compris sur les aspects les moins transparents de sa vie (Résistance, Vichy, Algérie…). Le dialogue est évidemment fictif et Rocard n’aurait sans doute jamais osé formuler certaines de ses réparties directement à Mitterrand.

En cette soirée de création et de vraie première comme le metteur en scène l’a indiqué avant qu’elle ne commence, les comédiens étaient déjà bien rodés. Ni Philippe Magnan (Mitterrand), ni Cyrille Eldin (Rocard) ne jouent en imitant, encore moins singeant leurs « modèles ». On retrouve bien quelques tonalités du ton rocailleux de Rocard dans le jeu de Cyrille Eldin et dans sa façon de se déplacer et sa gestuelle un peu nerveuse, mais très peu de traits caractéristiques de Mitterrand, à la fois un peu débonnaire et au débit peut-être trop rapide. Il est pour autant extrêmement convaincant.

Juste avant le couplet (« Regarde, quelque chose a changé, l’air semble plus léger, c’est indéfinissable, un homme, une rose à la main, a ouvert le chemin vers le monde de demain ») que Barbara chantait dans les meetings de Mitterrand, la pièce s’achève sur une voix off qui n’est autre que celle du vrai Michel Rocard s’adressant au premier secrétaire lors du congrès socialiste d’avril 1979 qu’il ne sera pas candidat contre lui s’il est candidat aux prochaines élections présidentielles car en sa qualité « il est le premier d’entre nous qui aura à prendre sa décision personnelle sur le point de dire s’il est candidat ». C’est évidemment savoureux quand on sait ce que la pièce laisse entendre mais ne dit pas explicitement qu’il annoncera depuis sa mairie de Conflans-Sainte-Honorine sa candidature le 19 octobre 1980 et qu’il la retire après que Mitterrand se soit déclaré un mois plus tard et qu’un congrès extraordinaire ait entériné sa candidature le 24 janvier 1981…

Théâtre du blog

Qui se présentera aux élections présidentielles comme candidat du Parti Socialiste ? En 1980, Michel Rocard rend visite à François Mitterrand à son domicile parisien, rue de Bièvre, pour s’entendre sur cette candidature. Les géants de la politique se livrent un duel féroce : un beau terrain de jeu pour le théâtre. « L’idée m’est venue, confie l’auteur, de créer un choc frontal entre ces hommes qui ne se ressemblent en rien. L’un croyant à la politique, l’autre à l’économie ; l’un littéraire, l’autre aimant les chiffres ; l’un, familier des forces invisibles, l’autre, profondément cartésien ; l’un secret, l’autre exubérant…» Georges Naudy a pioché dans leurs nombreux écrits, interviews, déclarations et à partir de leurs mots prononcés ça et là mais tous authentiques, il a construit un dialogue acéré et sans aucun bavardage. Ici, la langue devient une arme redoutable et les répliques, brèves, font mouche. Un rude combat qui va les départager. Unité de temps, de lieu et d’action pour une rencontre qui a duré, comme la pièce, environ une heure trente…

D’entrée, celui qu’on surnommait le Sphinx mène la danse et Michel Rocard s’excuse presque de faire irruption dans son bureau, modeste mais confortable, flanqué d’une grande bibliothèque. Comme s’il dérangeait son adversaire plongé dans La Mort de Socrate de Lamartine. D’abord courtoise, la conversation devient abrupte. François Mitterrand a l’art de l’esquive, du sous-entendu et son ironie féroce déstabilise le jeune loup : « On imagine difficilement une avenue Rocard, ou même un boulevard portant votre nom… Peut-être, à la rigueur, une impasse… Un exemple parmi d’autres ! Michel Rocard, incarné avec rigueur par Cyrille Eldin, apparaît comme un technicien froid, un comptable, un suppôt « de l’économie de marché à la sauce sociale démocrate ». À sa vision pragmatique et à son souci de « la balance des comptes », le secrétaire général du Parti Socialiste oppose son idéologie : « rompre avec le capitalisme », « ne pas se résigner à subir la loi du marché » et « taxer les riches ». Prenant de la hauteur, il cite Spinoza, Winston Churchill, parle des dolmens, pierres levées, arbres et forces de l’esprit dont on doit s’inspirer. Et fait diversion en contemplant un vol de grues … À l’instar du Général de Gaulle disant : « Ensuite, regardant les étoiles, je me pénètre de l’insignifiance des choses. »

Philippe Magnan a déjà eu l’occasion de jouer le rôle de François Mitterrand, dans Changer la vie de Serge Moati (2011), un docu-fiction sur les trois premières années de son premier septennat. « Travailler avec Moati, qui fut un de ses proches du Président, nous a apporté beaucoup d’informations très précieuses et constitua pour moi une expérience profonde. » Cette connaissance du personnage apporte un supplément d’humanité à un exercice toujours difficile, quand il faut jouer des figures historiques que de nombreux spectateurs ont encore en mémoire.

De cette rencontre, on suit avec grand intérêt les stratégies verbales, la rhétorique des adversaires et les chemins souvent inattendus qu’ils prennent. Au fil du dialogue, se tisse parfois même un semblant de complicité entre les belligérants, reflet de la difficulté des rapports humains. Loin du mépris et de la haine dont on a coutume de taxer François Mitterrand à l’endroit de Michel Rocard, le texte révèle une relation plus ambiguë. On voit le premier, presque paternel, guider son adversaire, recueillir ses confidences et le second, exprimer son admiration pour la culture et la ruse de son aîné : « Vous avez, dit-il, le sens des choses souterraines. » Et il s’avouera bientôt vaincu…

Politique et théâtre ont toujours eu partie liée. Ici l’opposition entre eux donne lieu à un face-à-face haletant et, même si l’on en connaît l’issue, cette fabrique de l’Histoire nous passionne. D’autant que le débat n’est pas clos au sein de notre démocratie malade. « J’espère, dit Georges Naudy, que les âmes de Jaurès et de Blum voudront bien jeter un œil bienveillant, sinon complice sur mon texte. » Et on pense à toutes ces figures tutélaires qui, aujourd’hui, nous manquent …

Ce qui est remarquable...

Le 19 octobre 1980, Michel Rocard annonce sa candidature à l'investiture du Parti socialiste pour l'élection présidentielle de 1981. Le moment est bien choisi, il a cinquante ans et des idées nouvelles plein la tête. Seulement il n’est pas seul, la course à l’échalote a commencé pour la Présidentielle de 1981. François Mitterrand, celui même qu’il a soutenu dans la campagne de 1974, l’oblige à récidiver le 8 novembre. Mitterrand a 74 ans, battu par le général de Gaulle en 1965 et en 1974 par Valéry Giscard d’Estaing, le premier secrétaire du Parti socialiste s’interdit de louper la marche vers la Présidentielle, c’est maintenant ou jamais. Mitterrand et Rocard doivent se parler. Jacques Attali, l’éminence grise de tous les instants, est à l’initiative de la rencontre.

L’entretien entre les deux hommes a donc réellement eu lieu en revanche les échanges, dans ce huis-clos de la rue de Bièvres, ont été imaginés par Georges Naudy.

Inspiré par des personnages politiques hauts en couleurs et piochant dans les interviews, discours, écrits et témoignages rapportés, l’auteur tisse un dialogue tiré au cordeau. Loin du délire caricatural - mais plutôt sous la forme d’une mise à mort programmée dont on connaît la victime - la scène politique de l'époque parait riche d'un vocabulaire militant ou engagé mué par des personnalités aux parcours différents (cf. « 1988 Le Débat Mitterrand-Chirac » réinterprété par Jacques Weber et François Morel en 2017 sur cette même scène) : toutes les formes d'affrontements et de contradictions couvrent le devant de la scène médiatique.

Ainsi, en cette fin de matinée, piaffant d’enthousiasme et fermement décidé à occuper le clocher, Michel Rocard se présente au domicile de François Mitterrand. De ses épaules voutées prolongées par des mains qui se nouent au rythme de sa réflexion, Philippe Magnan est un Mitterrand terriblement convaincant, jusqu’à ses battements de cils incessants qui rythment un esprit en mouvement, et cette façon si particulière de déstabiliser jusqu’au doute son adversaire. Face à lui, Cyrille Eldin est Michel Rocard, le comédien est peut-être moins assuré dans sa maîtrise de l’art dramatique que ne l’est Philippe Magnan déjà exercé au rôle ; cependant, cette très sensible différence installe un décalage qui insuffle une formidable sincérité au dialogue. Les écarts de poids entre les deux animaux politiques sont perceptibles. Tandis que Mitterrand se vautre dans un cynisme endémique, Rocard tente l’attaque avec un pragmatisme éclairé. Parfaitement rompus, les deux comédiens décochent leurs répliques comme des flèches trempées de venin, le rythme est impeccable et les propos passionnants. Les rangs des spectateurs du Théâtre de l'Atelier se secouent de fous rires ou de mouvements de têtes indignés ou entendus, pour la plupart le souvenir de l’élection de 81 n’est pas si loin.

La rencontre glisse vers un règlement de comptes à O.K. Corral, beaucoup de choses doivent-être dites. Michel Rocard, impulsif et valeureux, puise dans les ressources que lui dicte sa jeunesse, il invoque un monde en mutation, des changements à opérer, une évolution salutaire. A l'opposé, dans l'angle d’une imposante bibliothèque, voulue par Edouard Laug, et qui s’élance certainement vers des cieux totalement inaccessibles au commun des mortels - en jugerait son propriétaire - François Mitterrand attend que sa proie se fatigue.

Ecrasé, terrassé, sans être parvenu à tuer le père, Rocard déclare forfait. Le jeune premier du parti socialiste aurait pu avoir un tout autre destin et même très certainement devenir Président de la République si la force tranquille de François Mitterrand ne s’y était pas férocement opposée.

A aller applaudir assurément, pour un bon shoot revival années 80, attention addiction probable.

Emma de Montmartre

Le titre suggère un rapport de force équilibré entre les deux hommes. Sur la scène du Théâtre de l’Atelier, l’affrontement penche en faveur du sphinx. Un soir d’automne 1980, Mitterrand reçoit Rocard dans son bureau en vue de l’investiture socialiste pour les présidentielles. La figure mitterrandienne avec le contrepoint rocardien. Si le duel a bien eu lieu, la reconstitution littérale de Georges Naudy est une fiction. Eric Civanyan a mis en scène ce texte truculent. Mardi 14 Janvier, la première de cette comédie politique a reçu un accueil très élogieux.

D’abord l’histoire, la vraie : A l’aube des présidentielles de 1981, la droite est divisée, une opportunité pour la gauche qui cherche son représentant. Un récit en trois actes. D’abord, Rocard présente sa candidature depuis la mairie de Conflans-Sainte-Honorine, le 19 Octobre 1980. Mitterrand riposte lors d’une fête de la rose à Marseille ; il est candidat quelques jours plus tard. Les confrontations sont vite stoppées à la faveur du député de la Nièvre. Le 24 janvier, Mitterrand est élu par le PS. La suite, nous la connaissons tous. Attaque-parade-riposte, une phrase d’armes transformée en joute verbale brillamment interprétée par les comédiens Philippe Magnan et Cyrille Eldin.

Théâtraliser la rivalité : Le rideau se lève sur le bureau de Mitterrand, rue de Bièvre. La scénographie d’Edouard Laug concentre des symboles forts. Une étroite bibliothèque de livres grenat est dressée verticalement jusqu’aux cintres. Allégorie du savoir mitterrandien. Au centre, le bureau est placé perpendiculairement à la salle. Les deux hommes sont de profil comme lors d’un duel. Côté jardin, une grande fenêtre est suspendue, symbole du regard de Mitterrand sur la France. A cour, une chaise longue de psychanalyste sert de réconfort à Rocard, victime d’un malaise. Un décor sobre et percutant.

Une dramaturgie étoffée au service d’une comédie politique : Le texte est truffé de citations, d’anecdotes et de références historiques. Les tacles fusent avec ironie à l’instar de cette flèche, « on imagine difficilement une avenue Rocard ou même un boulevard portant votre nom. Peut-être à la rigueur, une impasse… » La violence des attaques est apaisée par le sarcasme et l’ironie. Le vouvoiement est de mise ; ce qui renforce la méprisante politesse. Le La est donné. Rocard est bousculé mais il ne se démonte pas. Plus loin dans l’échange, il agresse Mitterrand sur son passé douteux, ses relations avec Bousquet et son passé algérien. On compte les points mais on sent bien que Mitterrand est au-dessus de la mêlée. Plus distant et silencieux, il manipule finement son adversaire. D’abord, il l’affaiblit en le faisant boire du vin blanc des Charentes. Les verres s’enchaînent jusqu’à faire vaciller Rocard. Le sphinx manipule ; un rôle qui va comme un gant à Philippe Magnan. Il l’avait déjà interprété dans le téléfilm Changer la vie de Serge Moati. En opposition, la résonance Rocard-Eldin, très bon comédien, est moins évidente. Deux incarnations, deux tempéraments et deux visions de la politique.

La dialectique du pragmatisme et de l’idéologie : Mitterrand l’idéologue. Rocard le pragmatique. Deux psychologies et deux visions de la politique. Mitterrand veut rompre avec le capitalisme. Rocard, l’économiste, s’accroche aux chiffres. L’un est silencieux. L’autre exulte. Le face à face déploie deux figures politiques qui se rejoignent notamment sur la peine de mort.

A la leçon d’économie de Rocard, Mitterrand riposte par des citations : Lamartine, Spinoza et Churchill. Au fil de l’échange, la figure de Mitterrand se dessine en surplomb. L’enjeu pour sa campagne est de « Respecter la France ».

Un brin d’émotions et de nostalgie ponctue ce combat de coqs. Sans dévoiler l’issue de la pièce, la scène finale est un vrai coup de cœur.

Cette opposition est nécessaire à la mémoire collective. Enfants des années 80, nous nous sommes délectés à regarder cet épisode de l’histoire.

Iogazette

L’affrontement de deux hommes, de deux gauches, de deux manières de faire de la politique : ce sont ces contrastes à la fois intimes et idéologiques qu’Eric Civanyan porte à la scène, à partir d’un texte de Gorges Naudy imaginant la conversation qu’auraient pu avoir Rocard et Mitterrand dans le bureau de ce dernier, courant 1980, un an avant l’élection présidentielle pour laquelle ils se souhaiteraient tous les deux candidats.

Mitterrand est tel qu’on le connait : érudit, froid et manipulateur, usant de toutes les intimidations et humiliations possibles pour dissuader son adversaire de se présenter. La scène reconstitue l’intérieur bourgeois du bureau de la rue de Bièvre : meubles arts déco, desserte à alcool, divan, et surtout bibliothèque montant jusqu’au plafond, telle un appendice métonymique du futur président, dont la passion littéraire (et le sens du tragique qui l’accompagne…) ne manquent pas de souligner par contraste le prosaïsme sans panache du technocrate Rocard. Comme dans cette scène où Mitterrand soupire du manque d’imagination et de sensualité – en un mot de littérature – du maire de Conflant Saint-Honorine qui, invité par le futur président à « sentir » l’exemplaire de « La mort de Socrate », de Lamartine, se contente de feuilleter maladroitement le livre, plutôt que d’en humer le papier, d’y fourrer son nez et d’y jeter son âme. Une domination symbolique de l’un sur l’autre que la mise en scène explore en entremêlant habilement plans politiques et psychologiques, explorant les hommes sous les oripeaux diplomatiques. Texte et mise en scène donnent une texture à la rivalité, bien au-delà du seul champ politique, et c’est moins à un duel qu’à un écrasement rhétorique qu’on assiste : Rocard ne retient que quelques vers d’un poème classique lorsque son opposant le récite en entier, Rocard tourne de l’œil après trois verres et s’allonge sur le divan là où Mitterrand reste, tel un roc, inébranlable.

Les anecdotes sont éloquentes sans êtres démonstratives, les deux comédiens, à parfaite distance de leurs personnages dont ils évitent toute caricature, portent avec rythme l’exercice de la joute oratoire. Le classicisme de la mise en scène (pas d’anachronismes racoleurs, pas de Rocard à poil, pas de fétichisme « d’actualisation » des questionnements) parvient à intensifier la tension entre les deux hommes – le réalisme sobre de la pièce concentre l’attention sur la précision des répliques, sur la subtilité d’un haussement de sourcil. Le langage atteint des sommets de violence policée. Aussi fratricides soient-ils, Mitterrand et Rocard partagent au moins cela : une instruction par les mots, un goût de la parole, à mille lieux de l’ère communicationnelle dans laquelle baigne la politique aujourd’hui. Il en reste la puissance de Mitterrand, que Rocard indirectement reconnait, lorsqu’il admet qu’on ne peut pas présager quelque chose de totalement mauvais « d’un homme qui aime les livres, les femmes, les arbres ».

 

 

 

 

 


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