Acte 2

Audiard par Audiard2011 - 2012

 


On a tous en nous quelque chose de Michel Audiard. Ses répliques fulgurantes, drôles, perspicaces, nous ont marqué et se propagent aujourd’hui. Mais ce «classique du XX siècle» a de nombreuses facettes, parfois inconnues.

Jean-Pierre Kalfon, acteur énigmatique au regard noir et à la voix rocailleuse, trace le portrait de cet inventeur de style, magicien des mots.

 

A voir au Théâtre du Lucernaire, à partir du 19 Janvier 2011

 



Montage et lecture : 
Jean-Pierre Kalfon

d’après le livre édité par René Chateau
dans sa collection «La Mémoire du cinéma français»
 



"Une seule fois (dans « Canicule » d’Yves Boisset) j’avais pu dire quelques dialogues de cet auteur et le croiser sur le tournage. Ça avait été un plaisir un peu bref et voilà que l’occasion m’a été redonnée de venir faire un brin de causette avec lui et ses prestigieux amis, ennemis ou interprètes, à travers ses incroyables formules pas seulement drôles : fulgurances acerbes, poétiques, ironiques ou tendres d’un décrypteur perspicace de la France d’avant, pendant, après-guerre… et la suite jusqu’à sa  disparition.

Mais il a aussi écrit d’autres textes, tout aussi percutants, réflexions sur ses divers métiers : coursier à vélo, journaliste, dialoguiste, scénariste, réalisateur, sur la critique, la censure, ses rapports avec les acteurs, les techniciens, les amis, les rivaux, les productions jusqu’à des pages plus dramatiques, douloureuses, personnelles : l’enfance, l’abandon, la guerre, la capitulation, l’occupation, la libération, l’épuration, l’accident mortel survenu à un fils, Dieu, l’amitié, l’alcool, la bringue, l’amour : une vie bien remplie !

Passionné par les contradictions, les paradoxes, les doubles de cet auteur, je me suis laissé guider par lui... en toute subjectivité !

La famille Audiard ainsi que René Chateau m’ayant fait confiance, j’ai pu faire mon montage en toute liberté.

Après la lecture au Café des Beaux-Arts, le Théâtre de la Huchette m’a accueilli dès la rentrée 2010 pour 4 représentations, ça a plu, le public est venu, nous avons prolongé, et voilà que je vais reprendre en régulier au Théâtre du Lucernaire, à partir du 19 Janvier 2011.

Voilà. Il ne manque plus que vous !"

Jean-Pierre Kalfon

 


lhumaJean-Pierre Kalfon présente Audiard par Audiard par Kalfon, un titre qui est tout un programme. ?C’est, sur le ton de la causerie au coin du feu, ?une évocation affectueuse et bourrue, par petites touches, de l’homme aux quelque cent vingt films aux dialogues torchés, dont certains avec le temps ?(voyez les Tontons flingueurs, par exemple) sont devenus légendaires. De l’aveu même du comédien, ?c’est sur le tard qu’il s’y est mis, à Audiard, ?lui qui tourna en 1968 dans l’Amour fou de Rivette, ?aux antipodes donc des répliques vachardes ?et popu de ce petit cousin de Céline à la langue bien pendue qui naviguait à droite toute, cultivait la fraternité en petit comité et se prétendait volontiers « orfèvre en imbécillité?». Le temps passant, les polémiques s’émoussent, les gens changent, on devient indulgent, parfois même on se rapproche de ce qui, hier, vous paraissait sensiblement antinomique. C’est ainsi que Jean-Pierre Kalfon, avec son élégance voyou et sa voix râpeuse, peut adresser aujourd’hui à Michel Audiard ?ce grand signe d’amitié à titre posthume qu’il invite ?à partager, sans forcer la note, ce qui est tout ?à son honneur. Jean-Pierre Léonardini
 

franceinfoÀ première vue, les bons mots c’est comme les chocolats : il faut savoir en abuser. Grâce soit rendu à l’acteur Jean Pierre Kalfon qui au théâtre de la Huchette à Paris nous régale avec un exercice bête comme chou, simple comme bonjour et vieux comme le monde : la lecture. Ça marche fort mais faut dire que les textes lus par Kalfon sont signés Audiard. Évidement ça aide.
Le génial dialoguiste qui a cousu sur mesure les répliques de 120 films est au cinéma français ce que les grands couturiers sont à la mode. Avec lui c’est « aut’chose ». Sa patte, le style Audiard, cynique, dévastateur, abreuvé aux sources de la gouaille parisienne n’a pas pris une ride malgré les années. Cet anarchiste de droite, quasi frère d’armes de Blondin, admirateur de Céline et Proust mérite d’être étudié au collège au même titre que les grands auteurs classiques.

Que dire par exemple de son acharnement à dénoncer l’activité humaine la plus florissante, la connerie. Exemples : ?
Un pigeon c’est plus con qu’un dauphin c’est vrai ! Mais ça vole.
Quand on mettra les cons sur orbite, t’as pas fini de tourner.
Faut pas parler aux cons, ça les instruit.
Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche.
J’ai divisé la société en deux catégories : mes amis, mes cons à moi et les cons des autres que je ne supporte pas.
Les conneries c’est comme les impôts : on finit toujours par les payer
La différence entre un voleur et un con c’est que le voleur se repose de temps en temps.
Enfin la perle absolue : Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît.

Audiard lui aussi osait tout. Comme quoi, faut pas se fier aux apparences. Ni aux citations. Il y a aussi des génies qui osent tout. Et c’est aussi à ça qu’on les reconnaît.
 

anousparisSouvent Audiard vous manque ? Ses yeux perçants derrière sa casquette, sa façon de décrypter le monde avec une lucidité de médecin urgentiste, son sens unique de la formule... Normal : « On a tous en nous quelque chose de Michel Audiard, qu’on le veuille ou non, qu’on le sache ou pas. » Tel est l’incipit de cette lecture offrant à Jean- Pierre Kalfon le plaisir gourmand de réactiver la parole de ce génial aquarelliste d’atmosphère.
Enfin. « On va t’astiquer la mémoire, vieux voyou ! », comme disait Frédéric Dard. Pour mener à bien ce projet (inspiré par Antoine Gros), le comédien a d’abord englouti les 420 pages du livre de René Château, un ouvrage gorgé de perles audiardesques (des “Ton- tons flingueurs” à “Mélodie en sous-sol” en passant par “Un singe en hiver”)... Restait à sélectionner des extraits en toute subjectivité (naturliche !) et à échafauder de gouailleuses retrouvailles avec le maître (croisé lors du tournage de “Canicule” d’Yves Boisset).
Voilà qui a été fait et bien fait. On y entre comme dans un moulin, car lorsqu’il s’agit de dégoupiller ses canonnades, môôôsieur Audiard est grand : « Conduire dans Paris, c’est une question de vocabulaire » ; « La différence entre un con et voleur ? Un voleur, de temps en temps, ça se repose. » On se surprend très vite à penser que certaines de ses fusilleries annonçaient fort bien notre époque du stérilisé et du clinquant, lorsqu’il décrivait ainsi le Festival de Cannes : « Ah, croiser de vieilles gloires au nez restauré, aux seins en silicone, laquées comme un canard ! » Contempteur irrévérencieux de la société française et de ses vedettes boursouflées (de l’avant- guerre jusqu’à sa disparition en 1985), cet orfèvre en imbécillités pouvait aussi distiller un laconisme nimbé de poésie : «J’ai horreur des avares car si l’on compte ses sous, on compte ses sentiments.»
Au fil de la causette, ce portrait contrasté révèle la face cachée d’un écrivain secret dont la vie et l’œuvre restent en grande partie immergées. Oublié l’anar réac, le populo réduit à quelques aphorismes de comptoir ! Un Audiard nouveau sort du bois avec ses démons intérieurs (l’enfance, la guerre, la perte...), sa fidélité aux humbles, son immense culture littéraire. L’amitié, l’amour, la religion, les acteurs (Jean Gabin et Louis Jouvet, ses deux Stradivarius !), tout cela nous est livré grâce au plus génial des greffiers.
Car il faut bien le dire, cette causerie buissonnière repose avant tout sur la personnalité de Jean-Pierre Kalfon, artiste inclassable qui a toujours préféré prendre les petites routes où le hasard a encore sa chance (on le retrouvera le 13 octobre avec son groupe le PIB au Bus Palladium !). Glaneur impénitent, le comédien butine, zigzague, pour le seul plaisir de tisser des résonances entre l’homme aux 132 films et ses fameuses répliques. Son talent discret nous tient en joue et... ça nous fait sacrément du bien à la viande !
Myriem Hajoui
 

figaroscope

Fabrice Luchini et Jean-Pierre Kalfon ressuscitent sur scène des auteurs impertinents, politiquement incorrects, des fortes têtes, des forts en thèmes poétiques et sensibles. Fabrice Luchini après Philipp Murray reprend des lectures de Baudelaire, Céline, Nietzsche… Au Lucernaire, Jean-Pierre Kalfon dit, lui, des extraits d’Audiard par Audiard, le livre de René Chateau. « Vivant, je veux bien être modeste, mais mort, il me paraît naturel qu’on reconnaisse mon génie ! », estimait le dialoguiste d’un Singe en hiver. Luchini et Kalfon attirent les foules, comme c’est le cas quand des géants parlent d’autres géants. Amoureux de la langue française, les deux comédiens au cœur de rocker ont d’abord fait des « essais » qui se sont avérés des coups de maître. Signe que les pensées bien servies font toujours recette. On a toujours faim d’intelligence et d’esprit. Nathalie Simon
 

pariscapitaleVoilà une fine idée : faire jouer par le plus parisien de nos acteurs des répliques, réflexions, souvenirs d’enfance ou descriptions de personnages troussés par le meilleur dialoguiste qu’ait jamais eu le cinéma français, on veut bien sûr parler de Michel Audiard, lequel fut capable d’imaginer pour Les Tontons flingueurs des répliques aussi culte que « les cons ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît. » Jean-Pierre Kalfon, comédien étrange et peu banal, ne peut que s’approprier avec gourmandise et talent ce style détonnant du grand cinéma français des années 1950-60.
 

parisienDu temps où Michel Audiard triomphait avec « Les Tontons flingueurs », Jean-Pierre Kalfon frayait avec Godard et les jeunes loups de la Nouvelle Vague, qui fustigeaient ce conformisme du cinéma de papa. « À l’époque, entre acteurs, on savait quel génie du dialogue il était, mais on n’osait pas trop l’ouvrir », se souvient le comédien emblématique de l’underground soixante-huitard. Retrouver Kalfon, 72 ans, seul en scène au Lucernaire, dans une évocation de l’univers d’Audiard, n’a donc rien d’une conversion tardive. L’entendre citer Blondin, Gabin, Carmet, Ventura, ou ventiler (« façon puzzle ») des répliques de « Mélodie en sous-sol », tout ça dans la pénombre d’un décor de bistrot, ajoute encore au mythe du petit livreur à bicyclette devenu le plus brillant des dialoguistes de polar.
Savoureuses répliques du titi parigot « On a tous quelque chose en nous d’Audiard », expose Kalfon en entrant sur scène. La fameuse casquette pied-de-poule du bonhomme est accrochée à un porte-manteau. Sa voix nasillarde surgit à trois reprises. Pour le reste, c’est Kalfon qui se charge de convoquer les souvenirs. Il a pioché dans les 420 pages du livre de René Chateau, « Audiard par Audiard », pour trousser son spectacle-hommage. De son timbre éraillé de vieux rocker, il cite les savoureuses répliques du titi parigot, effleure l’Audiard intime qui offrait rarement prise à la sensiblerie de pacotille : « Pour moi, une sorte de Shakespeare du cinéma populaire. Et quel sociologue, quelle acuité dans le regard ! Bien plus profond qu’on l’imagine souvent. »
Jean-Pierre Kalfon l’avait croisé sur le tournage du film d’Yves Boisset « Canicule ». il en garde un souvenir éblouissant. Comme de la venue de Stéphane, le petit-fils. « Il a aimé l’évocation de son grand-père et m’a offert les DVD de ses films. Depuis, je me régale », avoue Kalfon. Un plaisir que l’acteur veut faire partager aux jeunes générations. Audiard, « c’est du brutal », mais « de première bourre ». Hubert Lizé

 



pariscope

Jean-Pierre Kalfon rend hommage à Michel Audiard

Dans Audiard par Audiard, le comédien-rockeur au grand cœur rend un magnifique hommage, entre tendresse et humour, à l’auteur, dressant le portrait d’un grand homme souvent blessé…

Entre son phrasé et le vôtre, il y a comme un air de famille !
Né comme lui à Paris, je viens d’un milieu où l’on parlait populaire. C’est la base. Ma mère était sténodactylo, mon père comptable et mon grand-père cheminot, des « petites gens » au sens noble du terme. Comme Audiard, je me suis construit seul. Il est entré dans le monde du travail à 14 ans et moi j’ai fichu le camp de la maison à 15 ans. Cela crée entre nous une sorte de fraternité.

Audiard est désormais un classique du XXème siècle…
Audiard, c’est un style populaire, simple, avec des images percutantes. Il faut lire
La nuit, le jour et toutes les autres nuits (éditions Denoël), c’est une merveille. Cela va droit au but. Quand il parle de sa mère en disant : « J’ai cessé tout commerce avec elle à 16 ans », tout le monde peut sentir ce que ça implique. Audiard, c’est un adulte qui n’a pas grandi (rire) et qui continue à asticoter les gens ! C’est ça aussi qui me plaît chez lui.

Aujourd’hui, via Les Tontons Flingueurs, Audiard est devenu culte…
Pourtant, à l’époque, les critiques n’ont pas été tendres avec lui ! Mais on ne peut le résumer aux
Tontons flingueurs et aux Barbouzes, même si, dans le genre, ce sont d’excellents films. Il y a Les Grandes Familles, Le Président, Un Singe en hiver et aussi Mortelle Randonnée, Garde à vue. Audiard disait que pour être un bon dialoguiste, il valait mieux partir d’un livre qu’on aime ! Mon amie Françoise Lacroix (la femme de Christian) m’a dit après le spectacle quelque chose de très juste : « Ce ne sont pas des mots d’auteur mais des mots de hauteur ! » On passe du tragique au comique et c’est ce qui donne ce sentiment d’universel.

Comment est née l’idée de ce spectacle ?
Elle ne vient pas de moi, mais d’Antoine Gros qui organise des lectures au Café des Beaux-arts, lieu superbe situé quai Malaquais. Quand il m’a proposé de lire Audiard, cela m’a plu parce que, apparemment, c’est a contrario de moi, qui suis connoté Nouvelle Vague. J’avais envie de faire un truc seul. Mais je suis incapable d’écrire autre chose que des chansons ! Là, je suis responsable de tout, le choix des textes, la mise en scène, l’interprétation, et j’ai aussi composé la musique (arrangée et jouée par mon ami Eric Traissard)…

Audiard par Audiard chez René Château est un pavé de 420 pages, comment choisir ?
En le lisant, j’ai découvert alors la vie de
Michel Audiard, la force de son écriture, la richesse d’une imagination qui parle, me parle. J’ai pris un crayon, noté les passages. Ce qui m’intéressait était de raconter un homme. Il y a la guerre, comment le cycliste est devenu journaliste, puis dialoguiste, la mort de son fils. J’ai entrecoupé tout ça de pensées montrant ce qu’il aime, admire. Je raconte finalement mon Audiard et quelque part je parle certainement de moi, parce que j’ai choisi dans tout cela ce qui me touchait le plus.

Vous ventilez aussi, façon puzzle, réflexions et mots d’esprit d’un auteur…
J’ai choisi, dans les grandes répliques, celles qui ne demandaient pas d’explications… Il y avait un ordre à trouver, que les répliques se tiennent les unes aux autres pour ne pas que ça saute « du coca light » (du coq à l’âne, ndlr). Il y a toujours chez lui une chose et son contraire. Par exemple, quand il parle des acteurs, il fait dans la provocation : « La meilleure façon de ne pas leur donner de mauvais conseils, c’est de ne pas leur adresser la parole !!! » C’est de l’esprit de contradiction pur. J’aime quand les choses prennent ces couleurs.

En plus rock, vous avez en vous un petit « quelque chose d’Audiard » !
La vie est un paradoxe. Jeune, j’étais spécial, bien frappé et allumé. J’étais toujours partant pour découvrir tout ce qui pouvait m’apporter quelque chose. Du coup, j’ai joué
Macbeth de Shakespeare dans une mise en scène de Roger Blin aussi bien que j’ai participé à des pièces et des happenings délirants avec Marc’O. La célébrité m’est tombée dessus très jeune. Je ne pensais pas que j’allais m’en sortir avec un tel parcours en zigzag, qui passe par le centre de délinquance pour jeunes de Savigny-sur-Orge. Faut croire que j’avais une bonne étoile. À défaut d’une éducation, mes parents m’ont donné une bonne nature… Ma jeunesse, c’est l’époque sexe and rock’n’roll. Et je préférais les voyages à ma carrière. J’ai une chose en commun avec Audiard, le rire comme une couverture, mais aussi comme une ligne de vie qui permet d’avoir du recul, du mordant.

Propos recueillis par M-Céline Nivière

 


Audiard par Audiard