Terminus2018 - 2019
1920. Au Sanatorium de Rueil-Malmaison, Georges Feydeau semble devenu fou. Il prend le personnel pour des personnages de son théâtre et de sa vie qu’il entraîne dans un vaudeville trépidant. Mais est-il fou ou joue-t-il une dernière pièce pour rire encore et tenter d’échapper à la mort ?
Antoine Rault
Luigi Feydeau versus Georges Pirandello ...
Loin des acclamations de ses plus grands succès, Georges Feydeau mélange un peu les affres de son quotidien et les tumultes de ses personnages. Quand la folie de l'auteur rencontre la folie de son oeuvre...
La drôle d'idée d'Antoine Rault qui, depuis plusieurs années offre à de grands acteurs des parcours majestueux, qu'ils soient historiques ou intimes (le Caïman, le Diable Rouge, l'Intrus, le Système), c'est organiser la rencontre de Feydeau le magicien des planches avec ses personnages, tous issus de ses troubles les plus profonds. En rendant palpable le lien qui unit l'auteur et ses histoires, aussi inattendues que grotesques, et qui ont fait rire des générations de spectateurs, c'est toute la "mécanique Feydeau" qui est ici disséquée pour notre plus grande surprise. Un mode d’emploi bien efficace qui permet une mise en scène aussi rythmée qu'onirique et des interprétations tout en excès et gourmandises, pour des acteurs débridés et audacieux. Une promesse de rires et d'émotions.
d'Antoine Rault
mise en scène Christophe Lidon
avec Lorànt Deutsch, Maxime d'Aboville,
Bernard Malaka, Valérie Alane et Chloé Berthier
costumes Chouchane Abello-Tcherpachian
son Cyril Giroux
lumières Marie-Hélène Pinon
assistante à la mise en scène Natacha Garange
une création du Cado, Orléans
biographies
Georges Feydeau (1862-1921) serait, d'après sa mère, une Polonaise, le fils de Napoléon III, et non de l'écrivain Ernest Feydeau, qui l'éleva et l'encouragea à embrasser la carrière d'acteur. Les rôles n'affluant pas, il écrit à 19 ans sa première pièce, et à force de persévérance dans l'écriture et la vie noctambule il devient « le roi du vaudeville », genre qu'il oriente vers la comédie de mœurs après l'échec de son mariage. Il est, avec la célèbre comédienne Sarah Bernardt, le témoin du mariage d'Yvonne Printemps et de Sacha Guitry. Il est interné pour troubles psychiques dûs à la syphilis, dont il finit par mourir.
Antoine Rault est auteur de théâtre, romancier et scénariste. Nommé aux Molières et aux Globes de Cristal, il reçoit le Grand Prix de l’Académie Française en 2006.
Antoine Rault a vingt ans quand sa première pièce, Déjanire, ou la femme d’Hercule, est produite et diffusée sur France Culture. Il écrit ensuite La Première Tête qui est montée à la Comédie de Paris. Jean Anouilh l’encourage à poursuivre une carrière de dramaturge. Mais c’est bien plus tard, en 2005, avec Le Caïman joué par Claude Rich au Théâtre Montparnasse, qu’il se fait connaître du grand public.
Après ses études à Sciences Po, il occupe des responsabilités auprès d’hommes de pouvoir. Cette expérience alimente son écriture dans des pièces comme Le Système qui aborde la création et la crise du premier système bancaire, Le Diable Rouge sur Mazarin et le pouvoir royal ou Le Démon de Hannah sur la relation passionnelle entre Hannah Arendt et Martin Heidegger pendant la période nazie. Mais Antoine Rault écrit aussi des comédies qui traitent de problèmes plus intimistes et contemporains.
Ses pièces sont traduites et produites dans de nombreux pays comme la Belgique, l’Autriche, le Canada, la Pologne, la Russie et l’Allemagne où Un Nouveau Départ connaît un très grand succès.
Antoine Rault est également romancier : Je veux que tu m’aimes en 2010, La vie dont tu rêvais en 2014 et La danse des vivants, paru en 2016 aux éditions Albin Michel.
Lorànt Deutsch débute comme acteur dans son adolescence, puis gagne en notoriété en apparaissant dans des films comme Le Ciel, les Oiseaux et... ta mère !, Ripoux 3, ou 3 zéros. Au théâtre il joue dans Le Système d'Antoine Rault, Le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, Irma la douce d'Alexandre Breffort. Il a publié plusieurs ouvrages de vulgarisation sur l'histoire de France, dont Métronome, l'histoire de France au rythme du métro parisien, paru en 2009, qui rencontre un très grand succès, ou Hexagone.
Maxime d'Aboville reçoit en 2015 le Molière du comédien pour son rôle dans The Servant en 2015 puis il endosse le rôle titre dans Un certain Charles Spencer Chaplin. Il partage la scène avec Michel Fau dans Par-delà les marronniers mis en scène par Jean-Michel Ribes.
Gilles Costaz
Feydeau en pyjama.
Ce n’est pas la première fois que Georges Feydeau devient un personnage de théâtre. Eric-Emmanuel Schmitt avait déjà eu cette idée mais en plaçant l’auteur du Dindon dans les rebondissements d’un vaudeville construit comme l’une de ses pièces ; cela s’appelait Georges et Georges. Dans Terminus dont le titre évoque à la fois l’hôtel où se réfugia Feydeau quand il se sépara de sa femme (le Terminus de la gare Saint-Lazare) et la plongée inéluctable de l’écrivain vers la mort, Antoine Rault préfère la formule, plus acrobatique, du tourbillon, du manège où se mêlent les faits réels, l’imaginaire des pièces avec des références que saisiront les connaisseurs et la fantaisie de Rault lui-même tirant les ficelles d’un cauchemar endiablé. C’est une comédie puisqu’au milieu de la ritournelle il y a un auteur comique. Mais toutes les composantes ne sont pas joyeuses : Feydeau a été frappé par la syphilis puis est mort à peu près fou dans une maison de soins. C’est de là que part la soirée, propulsant l’homme qui avait fait rire tout Paris dans les recoins obscurs de son existence, les quiproquos de ses farces, les étreintes toujours interrompues de ses obsédés du sexe et les solitudes soudaines où l’homme se parle à lui-même.
Cette pièce, c’est une machine tournante où le héros tente d’attraper un bonheur de vivre toujours fuyant et de repousser la mort qui a le visage du corps médical et n’a aucun humour. Christophe Lidon a conçu un espace mobile et changeant, qui peut cependant se définir comme une scène centrale avec lit où l’on voudrait s’adonner à la fête sexuelle ou où l’on cultive la déprime, flanquée d’un austère univers administratif d’un côté et d’une salle de bain rétro de l’autre. Dans ce triple espace, tous les personnes courent et se transforment, composant les individus semblables et différents d’un monde humain qui alterne plaisir, neurasthénie et répression. C’est bourré d’idées et d’une brillante agilité. Quelque chose reste pourtant à régler, comme s’il y avait parfois un hiatus entre le prosaïque et l’onirique. Mais le tourbillon est joliment entraînant, enlevé par des acteurs qui savent se propulser tour à tour dans la gaudriole et dans le drame intime. Bernard Malaka, Feydeau en pyjama, est roublard, malicieux et bouleversant ; acteur d’une très profonde finesse, il a l’élégance de l’espoir et du désespoir, ce qui est rare. Maxime d’Aboville change sans cesse de rôle et le fait avec un sens étonnant de la rapidité et de l’immédiateté, en grand comédien. Lorànt Deustsch, sur une partition moins variée (il est surtout le médecin-chef) est d’une belle intensité, d’un juste pittoresque, comme sorti d’un album du XIXe siècle. Valérie Alane incarne surtout la bourgeoise, en anoblissant la drôlerie de ses rôles dont, à force de nuances, elle tient à distance le ridicule quotidien. Enfin, Chloé Berthier multiplie les aspects de la jeune femme, godiche, touchante ou dévorante, avec brio. S’il demeure toujours un léger décalage de pensée entre l’optique de l’image brute et celle de l’estampe fantasmée, le carnaval humain ainsi composé est à classer parmi les réjouissances bienfaisantes.
En 1920, dans le sanatorium de Rueil-Malmaison, Georges Feydeau délire. Des lambeaux de son œuvre surgissent dans sa chambre, en un tourbillon de saynètes. L'auteur fou retrouve aussi sa famille. Des parents qui se déchirent sous ses yeux, un père biologique qui n'est autre que Napoléon III, une femme, fille de peintre célèbre, avec laquelle il partage l'enfer conjugal.
En mélangeant ces univers dans un carnaval cauchemardesque, Antoine Rault dégage avec intelligence les arêtes de l'œuvre de Feydeau, que la mise en scène de Christophe Lidon aiguise encore. Le décor, chambre de fou aux allures d'hôtel borgne, résume le vaudeville : qu'est-ce qu'une pièce de Feydeau, sinon des portes qui claquent et un lit qui tourne ?
L'infirmière innocente (irrésistible Chloé Berthier) devient Môme Crevette, soubrette coquine ou bonne... à rien. La femme médecin, qui lutte contre la brutalité de la psychiatrie, est aussi la mère de Feydeau, Léocadie, si libertine, et sa femme, Marianne, si rigoureuse, auxquelles Valérie Alane offre sa solidité et son humanité. À Lorànt Deutsch, aliéniste cruel ou Anglais exotique, Rault fait transmettre l'héritage linguistique de Feydeau. Maxime d'Aboville, en Général d'opérette, devient le fou du fou Feydeau, fou au carré, et déploie l'éventail de ses talents. Enfin, Bernard Malaka s'installe à mi-chemin entre le flamboyant et le croulant, entre le rire et le désespoir. La fête est finie et Feydeau ne sait pas pourquoi. Terminus, avec ce quintet majeur, explique aussi les raisons d'un déclin. Feydeau est l'auteur de la Belle Époque, il s'éteint avec son désenchantement.
Des rires et des applaudissements saluent, chaque soir, la prestation des comédiens à l’affiche de Terminus. La pièce d’Antoine Rault, mise en scène par Christophe Lidon, est à découvrir.« Attendez, ça ne va pas du tout… il y a du monde ce soir ? On fait combien ? », s’interroge Georges Feydeau. Noir. Assis sur son lit, une femme vampire au-dessus de lui, Georges Feydeau appelle sa mère. Nouvelle scène : seringue à la main, une infirmière s’apprête à le piquer… dès les premières minutes, le spectateur est pris dans un tourbillon mêlant la réalité du sanatorium où il soigne sa syphilis et les souvenirs des moments importants de la vie de l’auteur du Fil à la patte. Sans compter son esprit délirant et tous ses personnages qui s’invitent sur scène.
A l’exception de Bernard Malaka (Feydeau), tous les comédiens interprètent ici plusieurs rôles et s’en donnent à cœur joie. Un manteau enfilé et la femme médecin devient Marianne, la femme de Georges. La mise en scène est rythmée, les histoires inattendues, grotesques, touchantes. Ca court, les portes claquent, les amants se réfugient dans les placards … Comme si Feydeau se réfugiait dans son théâtre, une dernière fois, avant que tout s’arrête.
Ce sont en général des personnages ballotés par les turbulences de l’Histoire (souvent des binômes d’ailleurs) qu’Antoine Rault dépeint de pièce en pièce en mêlant authenticité des faits rapportés et fantaisie narrative. Cela a donné dans le passé de merveilleux spectacles tels que « La première tête » (une confrontation entre Louis XVI et son valet à la veille de la Révolution française), « Le Diable rouge » (Mazarin rusant face à la régente Anne d’Autriche pour arracher par mariage interposé un traité de paix entre la France et l’Espagne) « Le Caïman » (le couple Althusser dans un drame épouvantable), ou « Un nouveau départ » (une femme d’affaires rencontrant un SDF un soir de Noël) servis par des mises en scène inventives au service de récits à rebondissements.
Avec « Terminus » qui est créé en ce moment au Centre National de Création d’Orléans-Loiret (le Cado) et joué jusqu’au 12 octobre avant deux représentations les 18 et 19 octobre au Théâtre de Grasse (où fut donné en 2015 « Le système »), Antoine Rault propose une pièce intense, drôle, émouvante, qui s’impose comme un hommage à Feydeau, à son théâtre et à sa liberté de ton. Pourtant il ne va pas bien le sieur Georges au début de la pièce. Pas en forme du tout en fait, enfermé qu’il est en cette année 1920 au sanatorium de Rueil-Malmaison, comme dans sa tête mentalement perturbée où surgissent souvenirs d’enfance, désirs d’assouvir sa libido, et même les principaux personnages de ses chefs d’œuvre passés. On rit beaucoup, on est émus souvent, d’autant plus que l’écriture d’Antoine Rault demeure d’un équilibre parfait, oscillant entre poésie et vaudeville. Comme chez Feydeau en fait à qui l’auteur rend un vibrant hommage avec élégance, humour, et surtout un rythme effréné, symbole de tout son travail. Des bleus, des verts, des ocres, et toute une batterie de lumières bariolées, (signées Marie-Hélène Pinon, artiste majeure), accompagnent ce récit loufoque jubilatoire, fait de flash-back, de portes qui claquent, de réflexions en filigrane sur les principes créatifs, d’hommages aux femmes, le tout dans un va-et-vient « tohubohuesque » entre présent et passé, le futur, au regard de la santé du patient semblant plus que compromis. « Rire de tout de peur de devoir un jour en pleurer », telle est la devise des uns et des autres qui nous éblouissent à commencer par Feydeau lui-même interprété par Bernard Malaka, déjà remarquable dans le rôle de Colbert dans la pièce « Le diable rouge » (qui offrait un des plus beaux rôles au théâtre de l’immense Claude Rich).
Interprètes savoureux et Chloé Berthier épatante.
A ses côtés Valérie Alane, Marianne, la femme médecin qui est excellente. Tout comme Lorant Deutsch qu’Antoine Rault retrouve après « Le système » et qui campe avec malice le médecin chef, le père de Feydeau et même Wellington, un Anglais fantasque déclamant à Marianne : « toute ne poute pas être fini entre nious pouisque rien n’a commencé. Alors, je me dites que si vous commencez par la fin, vous finirez peut-être par la déboute ». Mais la palme revient au tandem formé par Maxime d’Aboville, immense sous les traits du malade Pacarel, et sous ceux de tous les autres rôles que Feydeau va lui donner, et la virevoltante Chloé Berthier (fille de Jacques Berthier qui co-dirige avec son épouse Fabienne Bécu le café-théâtre aixois « La Fontaine d’Argent ». Gigantesque actrice née le 17 août 1983 déjà saluée par Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui dans « Les femmes savantes », à l’aise en tournée face à Michel Sardou dans « Secret de famille » d’Eric Assous, bouleversante dans « L’hermine » le film avec Lucchini cette comédienne crève ici les planches. Il faut dire qu’elle doit représenter en un minimum de temps toutes les femmes de la vie de Georges (et ce n’est pas une mince affaire), en se changeant en infirmière du maître qui assiste à ses délires. Le mérite de cette distribution homogène et de performances successives des uns et des autres revient bien entendu à la plume d’Antoine Rault, maître artificier du rire et des mots qui sonnent juste, des phrases remplies de compassion jamais vulgaires toujours porteuses d’images et de métaphores. Et puis il y a enfin le metteur en scène Christophe Lidon, l’actuel directeur du Cado d’Orléans où nous avons vu cette pièce éditée chez Albin Michel, complice de l’auteur depuis des lustres (« Le diable rouge », « Un nouveau départ », « La vie rêvée d’Helen Cox », créée au théâtre La Bruyère à Paris le 21 septembre dernier) et qui ne surligne ni l’illustre jamais mais qui propose un prolongement personnel de chaque texte qu’il donne à voir. C’était le cas avec son travail sur « L’antichambre » de Brisville, ou « Marie Tudor », et « Andromaque » (avec sa compagnie), cela l’est encore davantage lors de ce « Terminus », où il montre qu’il est toujours l’un des premiers metteurs en scène français de l’Histoire avec un grand H. Sa connaissance du monde de Feydeau enrichit celle de Antoine Rault, pour un moment superbe et un grand divertissement qui pose les bases d’une re-découverte originale des pièces du maître. Scénographie impeccable (un décor qui tourne), texte au diapason, c’est ainsi grâce à Lidon et Rault que Feydeau est grand ! Et, à l’inverse du désastre annoncé au début et à la fin de la pièce (poignant monologue évoquant en conclusion le Paris vu par le dramaturge du « Fil à la patte ») totalement immortel.